Renouer avec l’âme du monde
Dans un plaidoyer fervent, Llewellyn Vaughan-Lee nous engage à ouvrir nos cœurs et à secourir notre mère la Terre, en honorant son caractère sacré, afin de nous reconnecter à l’âme du monde.
Les cloches de la conscience
Nous vivons un moment de notre destin commun où la Terre nous appelle au secours, face à la menace de destruction totale de son écosystème, ce fragile et complexe réseau de relations vivantes.
Tout autour de nous se trouvent ce que Thich Nhat Hanh appelle les «cloches de la pleine conscience» – elles sonnent l’alerte face à l’extinction sans précédent des espèces. Je pense à ce qu’on appelle «l’Armageddon des insectes», cette perte de 45 à 75% de leur biomasse, aux océans qui se remplissent de plastique à un rythme que personne n’aurait imaginé il y a quelques décennies et aux changements climatiques accélérés, avec toutes leurs conséquences insoupçonnées.
À un niveau différent, mais tout aussi douloureux, nous avons peu à peu perdu l’émerveillement devant la nature sauvage, et le sens du sacré qui nourrissait nos âmes.
Beaucoup d’entre nous réagissent par des actions et des idées, alors même que nos gouvernements et nos entreprises – qui mettent l’accent sur la croissance économique et le gain immédiat – sont incapables ou refusent d’en faire une véritable priorité.
La mobilisation de la jeunesse
C’est ce qu’a dénoncé avec force la militante de 16 ans Greta Thunberg, qui a clamé la vérité à la face des puissants de ce monde, lors de la récente conférence COP24 de l’ONU sur le changement climatique:
«Nous ne sommes pas venus ici pour supplier les dirigeants du monde de prendre leur responsabilité. Vous nous avez ignorés par le passé et vous continuerez à le faire.»
«Vous nous parlez d’une croissance économique verte éternelle uniquement parce que vous avez trop peur d’être impopulaires. Vous proposez simplement de continuer avec les mêmes mauvaises idées qui nous ont mis dans ce pétrin, quand la seule chose sensée à faire est de tirer d’urgence le frein à main.»
«Vous n’êtes pas assez matures pour dire les choses telles qu’elles sont. Même ce fardeau-là, vous nous le laissez à nous, vos enfants. Moi je ne me se soucie pas d’être populaire. Je me soucie de la justice climatique et de la planète vivante.»
Greta Thunberg
Cette dernière phrase m’a fait pleurer… mon âme l’a entendue dire qu’il fallait vraiment prendre soin de la Terre – de cet être vivant et beau qui nous a donné la vie, qui nous a nourris de sa générosité sans fin, alors même que nous avons maltraité, profané, violé et pillé son corps, un corps que notre culture considère avec avidité comme une «ressource» dont nous pouvons user et abuser sans fin.
L’anima mundi
Mais derrière les mots de Greta, «la planète vivante», se cache une vérité plus profonde, qui nous rappelle ce que nous avons oublié. Comme le savaient les anciens et les peuples indigènes, notre Terre est un être doté d’un corps et d’une âme que nous appelions en Occident l’anima mundi, l’âme du monde, et que les Kogi de la Sierra Nevada en Colombie appellent Aluna, l’intelligence spirituelle dans la nature.
Tant que nous ne reconnaîtrons pas la nature spirituelle de la Terre et l’intelligence originelle qu’il y a dans toute vie, tant que nous resterons indifférents et coupés de celles-ci, nous marcherons dans l’obscurité de notre oubli. Nous resterons incapables de trouver le moyen de travailler à l’unisson avec elle, pour commencer à guérir et transformer l’unité vivante à laquelle nous appartenons tous.
Nous restons piégés sur les rives désolées du matérialisme, comme dans un supermarché dont les rayons se videraient de plus en plus.
Chaque papillon, chaque abeille, chaque chute d’eau, chaque rêve que nous avons font partie de cet être vivant et spirituel. L’ancienneté de la Terre dépasse notre entendement, mais c’est en ce moment même qu’elle crie. La grande tragédie invisible de notre époque est que nous avons oublié sa présence sacrée vivante, recouverte par un silence qui l’a bannie de notre conscience.
En Occident, lorsque les premiers chrétiens ont violemment réprimé le paganisme, ils ont brûlé les livres qui comprenaient sa nature magique1; et maintenant, alors que le tissu de la vie se déchire, nous ne savons même pas comment réagir. Nous ne savons plus comment accéder à sa sagesse, comment retrouver ses arcanes et participer de nouveau à la grande conversation qui est celle de toute la vie. Nous restons piégés sur les rives désolées du matérialisme, comme dans un supermarché dont les rayons se videraient de plus en plus.
La réponse doit être spirituelle
L’activisme spirituel est un mouvement émergent qui montre que seule une réponse spirituelle peut résoudre notre crise mondiale – nos divisions sociales, notre dévastation écologique, et notre identification à une vieille histoire autodestructrice de séparation plutôt qu’à l’histoire vivante de l’interdépendance et de l’unité.
Sans aucun doute, nous avons désespérément besoin de réduire les émissions de carbone et les pesticides, de cesser de transformer les forêts tropicales en terres d’élevage ou en plantations d’huile de palme. Mais il y a aussi un appel à se reconnecter avec le sacré dans la création, avec le sang spirituel de la planète.
Sans cela, nous ne ferons que poursuivre la conversation unilatérale qui a causé cette dévastation. Nous devons travailler de concert avec la Terre, pour intégrer ses merveilles et sa sagesse. Nous avons besoin de nous reconnecter à son âme.
Et c’est un travail à la portée de chacun. Il n’est pas besoin de gouvernements ni de grandes organisations, mais seulement d’individus dont le cœur est ouvert et qui ont entendu le cri de la Terre. Au sein de notre être même, nous pouvons établir ce lien et contribuer ainsi à redonner vie au sacré dans notre vie quotidienne et dans celle de la Terre.
Il n’est pas besoin de gouvernements ni de grandes organisations, mais seulement d’individus dont le cœur est ouvert.
Il existe de nombreuses façons de se reconnecter. Dans un livre récent, Spiritual Ecology: 10 Practices to Reawaken the Sacred in Everyday Life, j’expose un certain nombre de pratiques spirituelles simples, allant de la marche sacrée à la cuisine faite avec amour, en passant par le nettoyage conscient2.
Quelle que soit notre pratique, ce travail fondamental n’est pas compliqué, il exige simplement notre attention et une véritable conscience. Il peut nous donner les moyens de réellement contribuer à ce que l’humanité rejoigne la grande conversation, la relation sacrée à la Terre qui faisait partie des premières instructions transmises à nos ancêtres.
Plus d’excuses
La Terre continuera. Nous sommes en train de vivre la sixième extinction de masse de ses espèces au cours de son histoire. C’est notre avenir commun qui est incertain. Tiendrons-nous notre antique promesse de témoigner de sa beauté et de ses merveilles? Saurons-nous honorer ses voies sacrées? Ou poursuivrons-nous notre course incertaine sur une terre de plus en plus dénuée d’âme, englués dans la consommation, jusqu’à ce que le niveau des océans soit trop élevé, l’air trop toxique, les océans trop acides, et notre âme trop désolée?
Encore une fois, comme l’a dit la jeune militante Greta Thunberg, «nous n’avons plus d’excuses et nous manquons de temps». Mais elle a dit aussi: «Le changement arrive.» La vraie question est de savoir si nous sommes ouverts et prêts à participer à ce changement intégral – afin que nos cœurs et nos mains viennent au secours de la Terre, et que nos âmes renouent avec la magie et le mystère de son être vivant.
1 Dès le IVe siècle, les premiers chrétiens ont interdit ou brûlé jusqu’à 90 % des écrits païens ou préchrétiens. Il ne reste plus que des fragments de textes de certains philosophes païens (Catherine Nixey, The Darkening Age: The Christian Destruction of the Classical World).
2 Les chapitres Marcher, Simplicité et Nettoyageont été publiés dans des numéros précédents de Heartfulness Magazine.