Aux racines du cœur
Rosalind Pearmain se penche sur les problèmes émotionnels qui tourmentent les jeunes d’aujourd’hui. Elle nous parle de ses recherches, de l’importance de se sentir en sécurité et de s’enraciner dans le refuge intérieur du cœur.
Il semble que nous, les humains, ayons une attirance profonde pour les grands arbres, les vieux arbres, comme si, par identification, nous avions le désir de les voir croître toujours davantage et plus haut vers le ciel. Tout nous porte à les contempler avec émerveillement. Comment peuvent-ils grandir ainsi, sans tomber? Peut-être ce sentiment fait-il écho à notre propre désir de transcendance et d’expansion de la conscience.
Au-delà des limites
Ayant fait partie de la génération des années 60 et 70, je réalise aujourd’hui que nous avions un désir ardent de dépasser nos limites et de découvrir toutes les façons possibles d’élargir notre champ de conscience. Nous voulions bousculer, transformer tout ce que nous ressentions comme des limitations. Ce faisant, avons-nous sapé les racines de nos sociétés qui avaient précisément permis cette croissance enivrante? Avons-nous rendu les choses plus difficiles pour nos enfants et plus encore pour nos petits-enfants, dans leur quête de stabilité intérieure?
Nous avions un désir ardent de dépasser nos limites et de découvrir toutes les façons possibles d’élargir notre champ de conscience.
Quand mon fils avait 18 ans, son meilleur ami est mort dans un tragique accident, en tombant d’une voiture. Peu après, un autre de ses amis tomba d’un balcon lors d’une fête. Plus tard, un troisième fit une chute mortelle d’un arbre. Inutile de dire que la disparition poignante de ces jeunes gens si prometteurs bouleversa beaucoup d’entre nous. D’un point de vue symbolique, cela me fit réaliser combien il est facile, dans notre jeunesse, de basculer «hors de notre vie» de diverses manières.
Les jeunes, des étrangers dans le monde que nous avons créé
Aujourd’hui, nous prenons conscience des difficultés croissantes que vivent les jeunes un peu partout. On les voit trop souvent déprimés, désespérés, seuls, anxieux. En fait, ils sont en première ligne d’un monde que nous avons créé, et ce qu’ils nous montrent, c’est qu’ils ne s’y retrouvent pas.
A l’adolescence, nous basculons souvent «hors de nous-mêmes» en trop voulant répondre aux pressions extérieures et aux attentes des autres. Nous croyons parfois devoir occulter une partie de nous pour faire partie du groupe. Nous perdons foi en notre moi intérieur. Trouverons-nous un jour le moyen de basculer à nouveau dans ce moi qui est le nôtre?
Après ces disparitions brutales, j’ai ressenti le besoin de faire quelque chose de constructif. Ayant observé sur mes propres enfants l’effet transformateur des écoles d’été quakers pour adolescents, je me suis demandé si on pouvait développer ce concept. Ayant trouvé en Angleterre deux colonies d’été sur le modèle américain, centrées sur les arts, j’y ai travaillé comme bénévole. J’ai également visité en Europe un séminaire d’été Heartfulness pour adolescents.
Intégration et sentiment de sécurité
Une petite recherche qualitative, effectuée dans le cadre de mon doctorat, m’a permis de constater que, dans ces trois écoles d’été, l’aspect déterminant pour les jeunes était le sentiment de sécurité que leur donnaient ces structures. Elles avaient établi des règles de base pour garantir l’intégration de chacun dans le groupe, et procuraient des encouragements à tous sans exception.
Ma recherche m’a permis de faire une autre découverte. Les jeunes qui avaient pratiqué la méditation Heartfulness éprouvaient par moments un sentiment de sécurité beaucoup plus profond, au cours de leur expérience méditative, qu’un autre groupe témoin.
«Je n’avais encore jamais éprouvé un tel sentiment de sécurité, m’a dit l’un d’eux. J’ai pleuré quand il a fallu partir.» Ce fut pour moi un choc de découvrir que ces jeunes se sentaient trop menacés pour oser être eux-mêmes. Il leur manquait cruellement l’acceptation et l’encouragement de leurs parents, de leurs pairs et de leur environnement scolaire.
Sans amour, difficile de vivre
Ils sentaient que l’amour de leurs parents était conditionnel et dépendait de la capacité à leur plaire; de plus, ils étaient souvent exclus et dénigrés par leurs pairs, sans parler du système éducatif qui leur imposait des pressions constantes. Et ceux en milieu urbain affrontaient souvent des situations très dangereuses, exposés qu’ils étaient à la criminalité et aux gangs de rues.
Alors comment «retomber» dans le refuge du cœur, source de l’amour et de notre être véritable?
Dix ans plus tard, la situation semble s’aggraver. La pression des médias et des réseaux sociaux ajoute aux sentiments de honte et de haine de soi que les jeunes peuvent ressentir face à un idéal extérieur illusoire ou hors d’atteinte.
Toutes les études sur l’attachement et les neurosciences le montrent: quand nous nous sentons anxieux ou menacés, il nous est impossible d’apprendre et d’intégrer une information. Or ces sentiments d’anxiété peuvent être provoqués autant par notre propre attitude intérieure hostile que par celle des autres. Alors comment «retomber» dans le refuge du cœur, source de l’amour et de notre être véritable?
Les racines, une métaphore du cœur
Pour revenir aux grands arbres, j’avais toujours cru que c’était leur profonde racine pivotante qui les ancrait si solidement au sol. Mais on a découvert qu’en réalité leur stabilité provient d’un système de racines horizontales minces et peu profondes qui s’étendent sur un rayon égal à deux ou trois fois leur hauteur. Fines et délicates, ces racines se mêlent à des champignons et des matières fibreuses, et font aussi des pousses verticales dans le sol. Ce sont donc ces petites racines horizontales qui s’étendent et soutiennent l’arbre dans sa connexion avec la terre et les autres organismes.
Je vois cela comme une très belle métaphore de ce que fait le cœur. Il nous ancre dans notre vrai Soi, le fondement de notre être, et nous enracine dans la terre et dans nos relations aux autres. Ainsi nous pouvons à la fois trouver refuge dans la source divine et rester connectés au monde. Heartfulness, c’est cela: une voie qui nous permet de basculer en nous-mêmes, et de ne plus jamais retomber à l’extérieur.