Leçons du jardin. Le trésor des pommes de terre
Alanda Greene continue à nous faire part avec enthousiasme des leçons de vie qu’elle tire de son jardin. Cette fois, c’est à propos de la croissance de ses pommes de terre qu’elle découvre combien il est essentiel de se fier à sa propre expérience. Car le chemin d’évolution de chacun est unique et il n’y a pas de recette universelle applicable à tous. C’est donc en s’évaluant avec sincérité, qu’elle apprend à être loyale envers elle-même.
La récolte de cette année est abondante, les pommes de terre sont saines et d’une bonne grosseur. Les deux années précédentes, elles étaient plus petites et moins nombreuses. J’ai plaisir à retrouver cette profusion, car elle met non seulement en évidence le caractère unique de ce jardin, mais confirme l’importance de me fier à ma propre expérience.
La culture des pommes de terre est généralement facile. Quand j’étais enfant, mon père m’a appris comment les planter et les espacer. Mais mon jardin actuel, créé à flanc de coteau sur la terre appauvrie d’anciennes forêts, est très différent du terreau profond des plates-bandes de mon enfance. Les pommes de terre ont cependant fini par y pousser et les récoltes se sont peu à peu améliorées en même temps que le sol.
Mais un jour, après avoir lu un article sur la bonne façon de cultiver les pommes de terre, j’ai décidé de suivre les conseils de jardiniers chevronnés. La première année, la récolte était moins bonne, mais j’ai persévéré, au cas où j’aurais omis quelque chose. L’année suivante, les résultats n’étaient guère plus satisfaisants. Je suis donc revenue à mon ancienne méthode – elle était incorrecte selon certains experts, mais elle réussissait dans ce jardin-là. Aujourd’hui, j’extrais avec bonheur de la terre sombre d’abondants trésors.
C’est ce qui marche dans mon jardin
Ce jardin est le résultat d’interactions entre ma manière de l’entretenir et le sol, l’eau, la température, l’environnement, les collines: tout cela est propre à ce lieu. Mes trois plates-bandes en terrasse fournissent des légumes en abondance. Quand mes voisins me demandent conseil sur la façon de cultiver, je commence toujours par répondre: «Je peux seulement dire ce qui marche dans mon jardin. Ma méthode pourrait ne pas être efficace dans un autre.»
Ces pommes de terre sont certes un trésor, mais ce que j’ai appris de cette expérience est encore plus précieux. Mon jardin est un système spécifique d’éléments en interaction, tout comme l’est ma vie. Mon chemin d’évolution est unique. Bien sûr, je suis un être vivant partageant de nombreuses caractéristiques avec d’autres créatures. Mais ma façon de croître, d’apprendre et d’évoluer est individuelle, elle a été façonnée par des événements et par les expériences et les choix particuliers faits au fil du temps.
Il n’y a pas de taille unique
Peut-être bien que les conseils et l’enseignement offerts par des voix expertes de notre monde moderne ne conviennent pas à cette période de ma vie et de mon apprentissage, mais conviendront à la phase suivante. Il n’y a pas de «taille unique» dans la panoplie de la sagesse proposée, qu’il s’agisse de jardinage ou d’évolution de la conscience. J’y découvre des savoirs, des compétences et de sages recommandations, mais j’éprouve la nécessité de les soumettre à ma propre expérience: je ne les accepte ni ne les rejette sans d’abord les tester sur mon propre terrain.
Comme l’a dit Thich Nhat Hanh: «Notre vie est l’instrument avec lequel nous faisons l’expérience de la vérité.»
Il m’est plus facile de me fier à ma propre expérience quand il s’agit de jardinage que dans d’autres domaines de la vie, tout particulièrement dans le champ de la spiritualité et de l’évolution de la conscience. Là, il semble plus sûr de se laisser guider par les idées, les conseils et les mises en garde auxquels adhère la majorité, plutôt que de s’aventurer en terrain inconnu.
Cela dit, Shakespeare nous a transmis un sage conseil, celui que Polonius adresse à son fils: «Avant tout, sois loyal envers toi-même. Et aussi infailliblement que la nuit suit le jour, tu ne pourras être déloyal envers personne.»
Apprendre à être loyale envers moi-même exige que je m’évalue avec sincérité, que je réfléchisse, que je sois honnête. Pour me laisser guider par ma propre expérience, je dois apprendre à démasquer la fierté, la peur, l’amour-propre, la paresse ou le besoin d’avoir une bonne image de moi qui parfois se font passer pour des guides légitimes – ou pire, justifient leurs conseils au nom de l’authenticité! Je dois donc apprendre à connaître les nombreux aspects de moi-même, à différents niveaux, et avoir le courage de faire confiance à ce que l’expérience me révèle.
Ce que cette exploration de la culture des pommes de terre m’a appris n’a rien à voir avec le besoin d’avoir raison. Ce n’est d’ailleurs pas une situation où l’on a tort ou raison: il s’agit simplement de reconnaître qu’il n’existe pas une seule façon de procéder applicable à tous les cas. Une réponse universelle serait séduisante, mais elle ne fonctionne pas dans le monde mouvant des relations. C’est ainsi que Teilhard de Chardin concevait l’unité de la vie:
«Cette unité ne transforme pas ceux qui la composent en gouttes d’eau qui se dissolvent dans l’océan. Au contraire, elle les incite fortement à se différencier pour naître à eux-mêmes, découvrir, assumer et habiter pleinement les profondeurs de leur nature authentique.»
Mon jardin a évolué en passant d’un sol sablonneux et rocailleux à un terreau fertile et productif. Tout comme lui, je bâtis un ensemble d’expériences et je les confronte à ce que propose la sagesse dans les domaines où je souhaite croître et changer. La clé, c’est qu’il me faut identifier la façon dont je veux évoluer: «Quel genre de personne est-ce que je veux être? Qu’est-ce que je désire renforcer dans ma vie? Comment est-ce que je veux utiliser mon énergie?» Consciemment ou non, je réponds à ces questions par les choix que je fais chaque jour. Je voudrais que ma vie soit une réponse consciente, et je suis la seule à pouvoir déterminer quelles seront mes réponses. D’ailleurs elles changent avec le temps, à mesure que j’apprends de mes choix et de mes expériences.
Je suis contente que la culture des pommes de terre m’ait permis de mieux connaître ce jardin et la façon de travailler avec ses composants pour favoriser sa productivité, mais cela ne me permet pas de dire: «J’ai toujours su qu’il fallait agir ainsi!» Car dans le jardin comme dans ma vie, j’ai constamment dû essayer, évaluer, apprendre des autres. Pendant longtemps, j’ai aussi immensément douté de moi-même, en pensant que les savoirs d’autrui avaient plus de poids que les miens.
Il m’a fallu de nombreuses saisons pour obtenir un jardin fertile et un mental fécond capable de discriminer, d’investiguer, d’analyser et finalement de déterminer dans quelle mesure les connaissances et les conseils des autres me convenaient.
Et je continuerai à explorer et à me remettre en question, au cours de cette danse faite d’essais, d’apprentissages, d’acquis, de renoncements et d’ajustements. Tout cela fait partie de l’évolution, de l’ouverture à l’apprentissage et à la croissance. J’ai assez d’expérience pour faire confiance à ce que j’ai découvert jusqu’à présent, mais aussi pour savoir que je danse dans un univers au potentiel infini. Où en serais-je si je m’étais limitée aux connaissances de mes dix-huit ans? Me cramponner à une position ou à un point de vue ne m’aurait pas aidée à grandir, n’aurait pas favorisé ma propre évolution, et n’aurait pas permis cette belle récolte de pommes de terre!