Le sens et le sacré
Llewellyn Vaughan-Lee et Hilary Hart célèbrent le caractère sacré et la beauté de toute vie. En nous proposant des pratiques et des expériences simples, ils nous invitent à nous reconnecter avec la nature, à ressentir profondément tout ce qui nous entoure, pour renouer avec cette source de sens et de gratitude.
Tu as gravi dix mille marches à la recherche du dharma.
Que de longs jours passés aux archives, à copier et recopier.
La pesanteur du Tang et la profondeur du Sung sont un lourd bagage.
Tiens! Je t’ai cueilli un bouquet de fleurs sauvages.
Elles signifient la même chose, mais sont bien plus légères.
Hsu Yun (Nuage vide)
Réveillé de bonne heure, j’entends l’appel du hibou dans les arbres, et je sens que j’appartiens à quelque chose qui se déploie tout autour de moi, un profond courant de vie et de sens qui traverse tout ce qui existe. Comment pourrais-je vivre sans ressentir cette pulsation, ce sentiment de connexion? La vie me parle de tant de façons, depuis un simple échange humain −un salut, un sourire à la boulangerie ou à la poste – jusqu’aux nuages roses qui se forment et se transforment dans le soleil couchant. Voilà le sens profond qui tisse la trame de mes jours: c’est l’histoire de la vie qui se recrée sans cesse, c’est le sacré qui vibre en chaque instant.
Nous baignons dans le sacré: il est au cœur de notre être et de la Terre. Il est la nature essentielle de tout ce qui existe. Le «sacré» n’est pas principalement religieux, ni même spirituel. Ce n’est pas non plus une qualité à découvrir ou à développer. Il est intrinsèque à la nature de tout ce qui est. Nos ancêtres savaient que tout ce qu’ils voyaient était sacré, et ce n’était pas une notion apprise, ils le savaient d’instinct. Pour eux, c’était aussi naturel que la lumière du soleil, aussi nécessaire que l’air qu’ils respiraient, c’était une reconnaissance fondamentale de la merveille et de la beauté du monde, de sa nature divine. Ce sentiment du sacré donne son sens à toute chose et fait résonner dans notre cœur son aspiration la plus profonde: être vivant.
Il est tragique que notre culture actuelle ait perdu de vue cette qualité vitale. Nous vivons exilés à la surface des choses, séparés de la substance même qui de tout temps a donné son sens profond à la vie quotidienne. On nous propose de trouver un sens à nos existences individuelles, mais la vie autour de nous nous dit tout autre chose: que nous faisons partie de la Terre et que nous appartenons à la communauté de la vie, dans ses myriades de formes. Ce n’est qu’en reconnaissant cette unité sacrée et en la vivant que nous pouvons trouver et éprouver le vrai sens de la vie. Il nous faut pour cela découvrir les moyens de nous souvenir, de nous reconnecter, de ressentir à nouveau tout ce qui nous entoure.
Danser la vie
Le sens, c’est ce qui nous appelle du plus profond de l’âme. C’est la mélodie qui nous invite à entrer dans la danse de la vie. Mener une vie riche de sens dépend de notre capacité à entendre ce chant, cette musique primitive du sacré. Malheureusement, une grande partie de nos jours est occultée par les distractions et par nos besoins de consommer. Tout comme la majesté infinie des étoiles disparaît derrière les feux de la ville, la musique de l’âme se perd dans la clameur incessante de l’existence. Le mystère et l’émerveillement nous deviennent de moins en moins accessibles.
Notre culture semble avoir perdu le fil qui relie le monde intérieur d’où surgit le sens au monde extérieur où nous passons nos journées. On ne parle plus de l’âme, et nos rêves se sont mués en désirs matérialistes. Même la spiritualité devient bien souvent une marchandise comme une autre, une drogue destinée à nous calmer, à soulager une anxiété croissante liée à la sensation qu’il nous manque quelque chose, quelque chose d’essentiel.
Le sens a la simplicité des fleurs de pommier qui éclosent, du jeune faucon aux plumes encore duveteuses, de la brume qui s’élève au-dessus de l’eau.
Pour retrouver ce sens, il nous faut rétablir notre connexion avec le sacré devenu un laissé pour compte de notre culture, alors que c’est le sacré qui nous relie à notre âme et au divin, source de tout ce qui existe. On le trouve partout: dans un galet, dans une montagne, dans le premier cri du nouveau-né et le dernier souffle de l’agonisant, dans la miche de pain qui attend sur la table et dans les paroles qui bénissent le repas. Le souvenir du sacré est telle la note fondamentale de notre vie. Sans elle, une nourriture essentielle nous manque −la profondeur de sa signification.
Quand nous entendons cette musique, ce chant, et percevons ses vibrations, nous nous retrouvons en communion avec la Terre et l’existence tout entière. Le sens n’est pas quelque chose qui nous appartient. Je dirais plutôt que la vie prend tout son sens lorsque nous éprouvons ce sentiment de connexion, lorsque nous la sentons sous nos pieds dans la rue, dans le parfum d’une fleur, dans la pluie qui tombe. J’ai la grande chance de vivre dans la nature, et lorsque je me promène tôt le matin et sens le jour s’éveiller, je perçois profondément ce lien: la Terre respire de concert avec moi, elle parle le langage de l’âme, celui du mystère de la vie. Le sens, ici, a la simplicité des fleurs de pommier qui éclosent, du jeune faucon aux plumes encore duveteuses, de la brume qui s’élève au-dessus de l’eau.
Il y a mille façons de s’agenouiller et d’embrasser la terre.
Ces pratiques, ces expériences sont des façons simples de nous reconnecter, pour à nouveau ressentir la musique, le chant de notre lien vivant avec la Terre. Elles nous incitent à ralentir, à sentir, à ressentir, à percevoir, à être à l’écoute. Elles détournent notre attention des fantasmes et des désirs pour la diriger vers ce qui est, là où le sens nous attend. Il y a bien sûr d’autres façons de s’éveiller au sacré dans la vie quotidienne, de se relier à sa signification profonde qui est présente partout, tel le sang qui coule dans nos veines et la sève dans la terre. Comme nous le dit Rumi: Il y a mille façons de s’agenouiller et d’embrasser la terre.» C’est cette terre sacrée qui nous appelle, qui a besoin de notre attention, de notre présence vivante et attentive.
Nous faisons tous partie de cet être vivant que nous appelons Terre, dont la magie dépasse notre entendement. Elle nous donne la vie, nous émerveille, nous nourrit de ses miracles. En elle, les mondes se rencontrent. Ses semences nous donnent à la fois le pain et les histoires. Pendant des siècles, les récits liés aux semences, mythes maintes et maintes fois contés, histoires de renaissance, de la vie qui se recrée dans l’obscurité, ont joué un rôle central pour l’humanité qui a vécu le sacré comme une dimension du réel. Aujourd’hui, nous avons pratiquement oublié cette richesse. Isolés, séparés les uns des autres, nous ne savons même plus à quel point nous sommes affamés.
Alors renouons avec l’essentiel, retrouvons la manière sacrée de marcher, respirons avec conscience, préparons la nourriture dans un état d’amour et de prière, accordons notre attention aux choses simples. Accueillons la vie dans toutes ses couleurs et ses fragrances, apprenons à dire «oui», encore et encore. Alors la vie nous rendra cette indispensable connexion à notre âme, et nous entendrons à nouveau son chant. Alors le sens reviendra, telle une offrande, telle une promesse, quelque chose dans notre cœur s’ouvrira et nous saurons que nous sommes de retour à la maison.