Le pouvoir de l’auto-compassion, 3e partie
Dans la dernière partie de cette interview très instructive, Chris Germer nous explique les liens entre l’auto-compassion, la confiance et l’estime de soi. Grâce à quelques exercices simples, il nous montre comment apprendre à nous aimer, à nous pardonner et à nous accepter en toute circonstance.
Il arrive parfois qu’un thérapeute trouve qu’un client souffre trop, ou que lui-même n’arrive plus à supporter le spectacle de cette souffrance. Alors, dans une tentative d’y mettre fin, il balance tout à trac à son patient des exercices d’auto-compassion. Ce n’est là ni de la compassion, ni de l’auto-compassion. Ce qui importe, c’est que la compassion se développe d’abord dans la relation patient-thérapeute. Ensuite, quand le patient se sent prêt et disposé à la pratiquer lui-même, il peut le faire.
Et quand on se met réellement à pratiquer l’auto-compassion envers soi-même, on peut commencer à satisfaire ses propres besoins – celui d’être vu, d’être entendu, de se sentir connecté, d’être aimé. Nos mains qui se tendaient vers les autres peuvent maintenant se tourner vers nous-mêmes et nous offrir ce dont nous avons besoin, et que nous attendions de nos proches.
Avec cette pratique vient en effet une grande révélation: nous pouvons combler nous-mêmes un grand nombre de nos besoins insatisfaits. Nous pouvons nous donner cet amour que nous avons cherché, parfois désespérément, pendant des mois, des années, voire des décennies. Et quand nous découvrons cela, l’auto-compassion entre dans notre vie pour toujours.
C’est aussi incroyable que de prendre conscience qu’on possède un trésor ignoré. En général, nous le découvrons après avoir eu le cœur brisé – car il nous faut parfois passer par la souffrance pour apprendre la compassion envers nous-mêmes – et ce trésor devient alors notre source de réconfort. Et nous, en tant que thérapeutes, nous devons y aller en douceur: nous souhaitons que le patient fasse la découverte de l’auto-compassion, mais c’est par notre propre compassion que nous devons l’y amener.
Amir Imani: C’est très vrai. Quelle différence faites-vous entre l’auto-compassion et la confiance en soi? L’auto-compassion peut-elle nous amener à être moins attentifs aux autres?
Chris Germer: Votre question soulève plusieurs enjeux importants. La confiance en soi est souvent liée à l’estime de soi, et celle-ci provient essentiellement de deux sources.
Généralement, l’estime de soi découle de comparaisons que nous faisons entre nous-mêmes et les autres. Si je réussis bien à l’école, j’aurai une haute estime de moi. Mais si j’ai de bonnes notes et que je suis nul en sport, mon estime sera faible. L’estime de soi dépend donc souvent de circonstances extérieures et de parallèles avec les autres. Ce type d’estime de soi, fondé sur la comparaison sociale, est fragile et aléatoire.
Mais il y a un autre type d’estime de soi qui provient de la bonté. Si vous réagissez avec bienveillance envers vous-mêmes face à l’échec ou à la souffrance, vous développez une confiance en vous qui trouve sa source dans l’amour. Une telle estime de soi a des assises plus solides et plus stables, et vous pouvez y faire appel en toute circonstance.
Quand notre estime de soi repose sur la bienveillance, nous sommes plus gentils avec les autres. Quand elle se fonde sur des comparaisons avec les autres, elle peut nous entraîner à faire des choses très désagréables, comme intimider des subalternes. Cette estime de soi exagérée peut aussi renforcer le sentiment de notre propre importance.
Autrement dit, lorsque nous sommes entièrement tributaires de comparaisons extérieures, nous devenons méchants envers les autres et nous nous aveuglons sur notre propre valeur. Lorsque notre estime de soi découle de notre bonté envers nous-mêmes, cette bonté s’étendra naturellement aux autres. La recherche le prouve: les personnes qui font preuve de beaucoup de compassion envers elles-mêmes sont non seulement plus compatissantes envers les autres, mais aussi moins agressives. Elles sont plus enclines à la conciliation et aux compromis.
La bonne nouvelle, c’est qu’il y a de l’espoir pour tous! Peu importe nos blessures – qu’elles viennent de notre enfance ou d’ailleurs – nous pouvons tous apprendre à pratiquer l’auto-compassion.
AI: Quel est le lien entre auto-compassion et pleine conscience?
CG: À mes yeux, l’auto-compassion et la pleine conscience sont les meilleures amies du monde! Quand nous sommes pleinement conscients, nous sommes également pleins d’amour bienveillant, de compassion et d’auto-compassion. On peut alors vraiment parler de «pleine conscience».
Cependant, notre «pleine conscience» n’est pas toujours complète, car elle est teintée du souhait de voir les choses se passer autrement. Elle est mêlée d’évitement, de confusion ou d’une volonté d’appropriation. Quand nous croyons avoir atteint un état de pleine conscience, ce n’est vrai qu’en partie, souvent à cause d’émotions difficiles. Si cela se produit et que nous avons le désir d’éveiller notre conscience, nous pouvons suivre la formation en auto-compassion (Mindful Self-Compassion). Et cela fonctionne: un état authentique de pleine conscience est rempli de compassion.
En fait, nous disons que l’auto-compassion est l’aspect émotionnel de la pleine conscience; c’est le cœur palpitant de la pleine conscience, en quelque sorte. Sous un angle plus «technique», on pourrait les différencier ainsi: la pleine conscience est la conscience aimante de l’expérience du moment présent, tandis que la compassion est la conscience aimante de l’expérience de l’autre.
Habituellement, en suivant les traditions de pleine conscience et de sagesse, nous découpons les choses en prises de conscience d’instant en instant. Mais ce n’est pas toujours possible. Et quand nous n’y arrivons pas, parce que l’observateur, ou son identité, se sent menacé, nous devons faire preuve de beaucoup d’amour et de bonté envers l’observateur. Par exemple, on ne peut pas éprouver de compassion pour la colère ou le désespoir, mais seulement pour une personne qui souffre de colère ou de désespoir. Donc c’est à la personne que l’auto-compassion s’adresse.
En un mot, nous avons parfois besoin que notre conscience aimante s’adresse à nous-mêmes avant de pouvoir accueillir l’expérience. Et c’est ainsi que l’auto-compassion peut s’intégrer dans la pratique de la pleine conscience.
AI: Comme c’est vrai! Chris, j’entends de plus en plus de gens se plaindre de manquer de temps pour la pratique. Pouvez-vous nous donner des outils de «micro auto-compassion»?
CG: Absolument! Voici trois micro-exercices.
Premier exercice
Posez-vous avec gentillesse ces questions: de quoi ai-je besoin, quelle part de moi-même ai-je besoin de réconforter, d’apaiser, de valider, de protéger, de motiver?
Deuxième exercice
Trouvez un toucher apaisant qui fonctionne pour vous et faites-le dans les moments difficiles.
Partout dans le monde, dans toutes les cultures, on transmet l’expérience directe de la compassion à travers des paroles et un toucher apaisants. Dans le cas de l’auto-compassion, cela consiste à trouver un contact physique simple avec votre corps – sur le visage, le cœur ou peut-être en vous serrant dans vos bras – ce qui vous procurera un sentiment immédiat de réconfort et d’apaisement.
Troisième exercice
Adressez-vous des paroles douces.
Un toucher apaisant, des paroles douces et la question «de quoi ai-je besoin?» sont trois micro-pratiques auxquelles tout le monde peut avoir recours. Au début, elles peuvent sembler artificielles, mais il faut prétendre y croire jusqu’à ce qu’elles fonctionnent. On passe par l’imitation pour atteindre la réalisation.
AI: Cela me rappelle la parole de la poétesse: «Tu n’as qu’à laisser le doux animal de ton corps aimer ce qu’il aime».
CG: Oui, c’est effectivement de l’auto-compassion. Elle poursuit en disant:
Tu n’as pas besoin d’être bon.
Tu n’as pas besoin de faire des centaines de kilomètres à genoux en pénitence dans le désert.
Tu n’as qu’à laisser le doux animal de ton corps
aimer ce qu’il aime.
À mon avis le mot clé, ici, c’est «laisser». Vous n’avez qu’à «laisser faire le doux animal de votre corps» car nous ne «laissons» rien se produire lorsque nous sommes dans un état de peur et d’angoisse. Il suffit de se donner la permission. Le corps sait, le cœur sait, le mental sait, alors tout ce qu’il nous reste à faire, c’est dire oui, et nous serons guéris.
AI: C’est tellement bienfaisant, cette pratique de l’auto-compassion! C’est un retour à notre humanité qui complète admirablement la pratique de la pleine conscience. Merci, Chris, nous avons passé avec vous un moment merveilleux et éclairant.
CG: Je vous suis très reconnaissant de m’avoir donné cette magnifique opportunité! J’espère qu’elle vous sera utile à tous. Merci.
Photo Anandhakrishna
Bonjour,
J’ai trouvé formidable à lire cet article! Pourriez-vous me conseiller un livre avec plus d’exercices à l’auto-compassion ou des ateliers/cours au valais ou suisse romande ?
Mille gratitude,
Petra