Le champ de mines des préjugés
Elizabeth Denley relie notre propension à entretenir des préjugés aux mécanismes de survie inscrits dans notre cerveau. Nos ancêtres auraient pu évoluer grâce à leur capacité de déterminer ce qui dans leur environnement était propice ou menaçant. La fonction des préjugés serait ainsi de nous protéger contre des dangers réels ou imaginaires. Le seul moyen de les dépasser se trouve dans l’aptitude à faire la distinction entre une prudence justifiéeet une peur irrationnelle. La progression spirituelle nous permet de sortir de schémas qui conditionnent nos idées préconçues.
La plupart d’entre nous pensent ne pas avoir de préjugés; pourtant, nous avons créé collectivement un monde plein de jugement, de conflits familiaux, communautaires et religieux, de guerres et de haine où le manque d’harmonie est flagrant. Un monde où la peur est palpable en de nombreux endroits.
Pourquoi et comment les préjugés naissent-ils? Selon la science yogique, la première impression ayant surgi au moment de la création est la peur, une peur liée à la séparation de l’état d’unité. Les préjugés sont enracinés dans ce samskara (impression) originel d’angoisse de séparation, qui a donné naissance aux mécanismes de survie destinés à protéger l’existence du moi individuel. Pendant des millions d’années nos ancêtres ont appris à se protéger des menaces de leur environnement et à faire preuve de prudence. Cela les a conduits à utiliser les fonctions de leur cerveau, comme l’intellect et la pensée, pour faire des choix fondés sur les dualités «bien/mal», «bon/mauvais», «j’aime/je n’aime pas», «vie/mort». En nous basant sur nos expériences passées, nous avons décidé de ce qui était favorable et de ce qui ne l’était pas.
Les préjugés ont-ils une valeur de survie du point de vue de l’évolution? Après des années d’observation, tant comme biologiste que comme praticienne du yoga, je dirais que la réponse est oui – et ce parce que nous ne sommes pas capables d’utiliser nos facultés intérieures: le plein potentiel de nos corps subtils. Plus nous accédons à leur potentiel par des pratiques méditatives, plus nous parvenons à transcender les préjugés.
Un préjugé est un pré-jugement. C’est un écart par rapport à la neutralité. On peut préjuger positivement en étant favorablement partial, ou négativement selon nos idées préconçues. Ces attirances ou aversions envers des situations et des personnes sont basées sur les représentations que nous avons formées à partir de nos expériences passées. Si nous sommes capables d’observer nos réactions et de reconnaître les écarts, nous saurons nous réajuster, comme un funambule qui revient constamment à l’état d’équilibre.
Tout dépend de notre capacité à faire preuve de discrimination ou de discernement. Or sans un champ de conscience pur, la discrimination n’est pas possible. Peu importe notre puissance intellectuelle ou la quantité de connaissances amassées, on ne peut pas discriminer sans pureté intérieure. C’est là un indice très important et utile pour comprendre comment nous développons des préjugés. Quand nous ne sommes pas en mesure de discriminer dans l’instant, nous nous en remettons à des règles communément admises et fondons nos préjugés sur elles.
Peu importe notre puissance intellectuelle ou la quantité de connaissances amassées, on ne peut pas discriminer sans pureté intérieure.
Disons que vous n’ayez jamais connu le feu auparavant. Vous pourriez faire une expérience en mettant votre main dans le feu, et vous apprendriez très rapidement à ne plus le faire. Ou alors votre mère vous aurait appris que le feu est dangereux et vous n’auriez pas à vivre l’expérience vous-même. Cette expérience et cette sagesse se sont transmises de génération en génération.
Il existe aussi une conscience collective. Au cours de millions d’années, le cerveau moyen, que nous partageons avec d’autres mammifères, a évolué pour nous protéger des dangers environnementaux. Nous avons appris à interagir avec le monde sous l’angle de la défense, de la protection. Nos ancêtres ont survécu parce qu’ils anticipaient le danger et s’en gardaient.
Nous sommes également connectés à un niveau plus profond: par le cœur. Ainsi les communautés d’êtres humains ont la capacité d’absorber la connaissance les uns des autres – par osmose en quelque sorte – et d’enrichir ce que Jung a appelé l’inconscient collectif. Et notre mental crée très, très facilement des schémas. Il apprend sans peine de l’expérience collective. Nous appelons cet apprentissage sagesse et adaptation.
Mais imaginez maintenant que vos ancêtres étaient en guerre avec une autre communauté et que plusieurs d’entre eux aient été tués. La haine s’est transmise de génération en génération, et cela continue, même si la guerre a eu lieu il y a des centaines d’années. Vous pourriez garder des préjugés à l’égard de cette autre communauté, alors qu’elle a peut-être changé d’attitude depuis lors. Imaginons maintenant que ce soit vos ancêtres qui aient commencé la guerre, et que les autres n’aient fait que se défendre. Votre préjugé serait-il justifié? Il y a beaucoup de dilemmes éthiques dans ce champ de préjugés miné!
Alors, quelle est la différence entre une utilisation sage des expériences passées – ne plus mettre sa main dans le feu – et une utilisation préjudiciable – haïr un groupe de personnes à cause d’une guerre terminée depuis plusieurs siècles? Nous nous référons à ces différents types d’expériences passées de façon similaire; pour le corps il s’agit du même processus d’apprentissage. Quand j’ai peur d’une araignée inoffensive, les réactions hormonales et nerveuses du système sympathique sont semblables à celles que déclencherait une menace réelle. Le corps réagit de façon identique. Alors, comment faire la distinction entre un préjugé utile, protecteur, et un préjugé biaisé?
La sagesse nous vient d’un champ de conscience pur, qui nous fait prendre des décisions pertinentes et utiles, alors que les préjugés colorés et déformés nous égarent. La sagesse découle de tout le processus de la cognition: de la collecte de l’information par les sens, à son traitement par les corps subtils, jusqu’à la réponse de l’âme. Quand le champ de la conscience est pur, nous entendons la réponse de l’âme à travers le cœur, sans les filtres des émotions qui colorent nos décisions. Quand le champ de la conscience est agité et trouble, pouvons-nous faire confiance à cette voix?
La sagesse découle de tout le processus de la cognition: de la collecte de l’information par les sens, à son traitement par les corps subtils, jusqu’à la réponse de l’âme.
Mais écouter la voix du cœur demande du courage. Et si nous n’avons pas ce courage? Alors, pour se sentir en sécurité, il est plus facile de suivre un ensemble de prescriptions ou de règles prédéterminées – nos préjugés – même si ceux-ci ne sont pas, ou ne sont plus pertinents. Ces prescriptions viennent de notre «bibliothèque de samskaras». Pourquoi une personne a-t-elle peur des serpents? Peut-être que, dans une vie antérieure, elle a été mordue par un serpent et qu’elle en est morte; cela ne veut pas dire que tous les serpents sont dangereux, mais elle s’est créé une règle pour assurer sa sécurité.
C’est la base des préjugés. Et c’est probablement la raison pour laquelle nous craignons tant le changement et lui résistons, car tout changement pourrait modifier les règles et mettre en péril notre sentiment de sécurité. Or, l’évolution spirituelle est principalement une question de changement, de lâcher prise, d’abandon des règles et des limites qui définissent la réalité que nous avons nous-même créée. C’est ainsi que la spiritualité démantèle les préjugés. De fait, le progrès spirituel est le véritable antidote aux préjugés, parce que nous ne pouvons plus nous cramponner à des croyances fixes quand nous grandissons spirituellement.
Pourtant cette transformation ne se fait pas facilement, et ce parce que notre mental a reçu l’empreinte de samskaras très profonds. Nous pouvons parfois avoir le sentiment que notre survie elle-même est menacée, parce que bon nombre de ces impressions se sont créées au cours d’autres vies et dans notre petite enfance. Ces multiples imprégnations de notre mental peuvent susciter une grande résistance au changement. Et cette transformation exige de la tolérance, de la patience et surtout de l’amour – car, même si c’est difficile, il faut bien que notre évolution se poursuive!
Le progrès spirituel est le véritable antidote aux préjugés, parce que nous ne pouvons plus nous cramponner à des croyances fixes quand nous grandissons spirituellement.
Si l’on accepte l’idée que le progrès spirituel est l’antidote aux préjugés, voyons ce qui se passe lorsque nous pratiquons les quatre points la méthode Heartfulness:
La méditation renforce en nous l’attention, elle nous apprend à plonger plus profondément dans notre cœur, au niveau du ressenti, et à observer notre univers intérieur. En méditant, nous nous habituons à écouter le cœur, qui nous ouvre des pistes pour développer le discernement et la sagesse. Une base essentielle pour éliminer les préjugés.
Le cleaning élimine les complexités et les impuretés du champ de la conscience, ce qui permet au discernement d’émerger.
La prière crée un vide dans le cœur, un état de neutralité. La prière abolit le «je», car nous sommes connectés à plus grand que nous. Dans cet état, il est impossible de nous sentir supérieur ou séparé des autres.
Le souvenir constant de la divinité nous maintient dans un état méditatif tout au long de la journée et de la nuit. Il est préventif, car il empêche l’accumulation des complexités et des impuretés dans le champ de la conscience.
Ces pratiques spirituelles nous habituent à tourner notre regard vers l’intérieur, et elles purifient le cœur, nous libérant de nos idées toutes faites.
Au fil des années, j’ai appris à observer le démantèlement de mes préjugés comme un baromètre de mon évolution. Et lorsque je n’arrive pas à voir mes propres schémas, d’autres sont là pour m’aider à le faire – ce que je n’aime pas chez eux est un miroir de moi-même; ce qui me plaît chez eux et me rend partiale, en est un aussi. C’est un bienfait de la nature qui me permet de changer. C’est une opportunité de croissance donnée à tous, et c’est un espoir et une vision pour l’humanité.
Synthèse simple et enrichissante du fonctionnement des corps subtils en connexion ou non avec notre cœur, sur la gestion des préjugés.Très inspirant et pratique. Une aide précieuse.