L’amour au temps de la haine
Scilla Elworthy s’attaque à l’un des problèmes les plus épineux et les plus urgents de notre temps: le terrorisme. Elle partage ses réflexions sur le rôle des femmes et sur la construction de la paix qui requiert du courage, de la détermination, de la compassion… et un budget!
La menace que redoutent la plupart des gens aujourd’hui est le terrorisme. Pourtant les mesures actuelles adoptées pour y faire face sont une simple répétition des erreurs du passé et ne font qu’exacerber la situation. Pour planifier une stratégie efficace, il est essentiel de comprendre la façon de penser des combattants militants.
Répondre au terrorisme par la violence est contre-productif, car la violence est ce que les terroristes comprennent le mieux, et ils savent parfaitement tirer profit de notre addiction à la médiatisation de leur brutalité. Selon l’ ancien otage de l’ Etat islamique Nicolas Hénin, la violence est exactement ce que ses ravisseurs recherchent: «Ils sont encouragés par tout signe de réaction disproportionnée, de division, de peur, de racisme, de xénophobie, ils sont attirés par toutes les horreurs publiées dans les médias.»
«Le vainqueur de cette guerre ne sera pas le camp qui dispose des armes les plus récentes, les plus coûteuses ou les plus sophistiquées, mais celui qui réussira à rallier le plus de sympathisants à sa cause.» Pour donner un exemple de réaction positive de la société civile, il a qualifié de «coup porté à ISIS» l’ escalade récente de la crise des réfugiés et le nombre en hausse d’Européens qui ont offert de recueillir des musulmans en fuite.
Deeyah Khan est une réalisatrice de documentaires, lauréate de l’ Emmy Award (distinction récompensant les meilleures émissions télévisées) qui pour son projet le plus récent, «Exposure – Jihad: A British Story» (diffusé sur ITV1) , a passé deux ans à interviewer et filmer d’ anciens extrémistes islamiques. Il en ressort pour elle que «l’ Etat Islamique ne veut pas que nous ouvrions nos portes à ses réfugiés. Il veut les priver de toute possibilité, de tout espoir. Il ne veut pas que nous nous amusions en famille ou avec nos amis dans les bars, les salles de concert, les stades et les restaurants. Il veut nous voir nous recroqueviller dans nos appartements, au sein de nos groupes sociaux, portes closes par la peur.»
Pour Philip McKibbin, il faut veiller à ne pas laisser nos émotions nous dicter la manière de répondre au terrorisme. «Les terroristes veulent provoquer, en nous, choc, indignation, insécurité… Une réponse charitable au terrorisme serait proactive, plutôt que réactive. Elle nous verrait répondre aux causes du terrorisme au lieu de nous focaliser de manière disproportionnée sur les actes terroristes.»
Les principales causes du terrorisme sont l’humiliation et la vengeance. Lorsque vous faites le calcul, force est de constater que les Etats «légitimes» commettent bien plus de violences dans le monde que les groupes terroristes non étatiques. Cela n’ excuse en rien l’ action terroriste mais l’ explique.
Des stratégies efficaces
Quelles mesures les gouvernements pourraient-ils prendre pour désamorcer le terrorisme international? Une solution serait d’adopter sur le champ des procédures réellement équitables et pacifiques dans leurs relations avec les autres peuples. Cette stratégie priverait les groupes terroristes d’un de leurs arguments majeurs pour justifier la violence.
Nous devons dépasser les luttes de pouvoir qui causent tant de souffrances à l’humanité depuis des milliers d’années. Si nous continuons dans cette voie, il n’y aura peut-être plus de planète à dominer.
D’aucune façon il ne faudrait promouvoir l’image du terroriste tel un combattant héroïque défendant les intérêts du peuple. Lorsque les médias présentent systématiquement des terroristes en première page, ces derniers peuvent se percevoir comme des célébrités planétaires. Et bien entendu d’autres jeunes voudront atteindre ce type de notoriété, même au prix de leur vie. Les dirigeants doivent orchestrer un programme cohérent et coordonné de sensibilisation des responsables de rédaction. L’absence de couverture médiatique serait la meilleure solution pour réduire à son minimum le glamour de la brutalité.
Faire ce que les terroristes redoutent: s’unir
Au sein de l’ association «Rising Women Rising World»4 nous nous posons la question la plus difficile et sans doute la plus exposée au ridicule: comment amener les jeunes combattants d’ ISIL à entrer dans la sphère de la compassion, leur faisant voir que nous devons laisser derrière nous les luttes de pouvoir qui depuis des milliers d’années causent tant de souffrances à l’humanité? Si nous continuons dans cette voie, il n’ y aura peut-être plus de planète à dominer.
Si le fait de proposer une réponse compatissante au terrorisme nous expose au ridicule, nous pouvons rappeler la réponse d’Abraham Lincoln à une dame qui lui reprochait son attitude trop conciliante dans les pourparlers avec le Sud. «Madame, lui dit-il, est-ce que je ne détruis pas mes ennemis en en faisant mes amis?»
L’amour exige que nous considérions les terroristes comme des êtres humains. Il nous incite à comprendre que leurs actions, aussi odieuses soient-elles, proviennent d’ un sentiment de revanche, d’humiliation et d’ isolement. Il nous demande de croire que leur douleur, et celle que tant d’ autres personnes éprouvent en ces temps de terreur, n’ est pas insurmontable. Que collectivement nous sommes capables de la surmonter.
Construire des ponts: donner du poids aux populations locales
Le gouvernement britannique sait bien, de par son expérience en Irlande du Nord, que ce n’est pas le recours à des forces supérieures qui a finalement mis un terme à trente années de terreur. C’ est la construction de ponts, l’ écoute, la médiation patiente, le respect et la négociation. Le Sénateur George Mitchell, qui joua un rôle déterminant dans l’ accord de paix d’ Ulster, avait déclaré: «J’ écouterai aussi longtemps qu’ il le faudra.»
Au cours de la dernière décennie, «Peace Direct» a compris que les populations locales ont la capacité de trouver leurs propres solutions au conflit, ce qui se révèle être le meilleur moyen de mettre un terme aux cycles récurrents de la violence et d’établir une paix durable. L’ une des leçons apprises de nos partenaires est qu’il est capital d’ aider les jeunes en danger à sentir leur appartenance à la communauté, et à se détourner ainsi de l’ extrémisme.
Le Sénateur George Mitchell, qui joua un rôle déterminant dans l’accord de paix d’ Ulster, avait déclaré: «J’écouterai aussi longtemps qu’ il le faudra.»
Même si cela peut sembler une platitude libérale en face de la gravité de la violence, il s’agit en réalité d’un travail difficile, dangereux, exigeant… mais qui aboutit parfois à des résultats remarquables. A titre d’ exemple, un projet anti-radicalisation commencé en 2014 au Pakistan a touché presque 4000 jeunes gens «à risque» et a été primé.
La voix des femmes sur la violence
Il y a dix ans, un groupe de femmes a mené une analyse minutieuse des causes premières de la violence politique, qui mit en évidence l’influence persistante de l’ impuissance, de l’ exclusion, des traumatismes et de l’ humiliation. Elles ont suggéré des mesures pratiques ayant fait leurs preuves, applicables en Irak, en Israël et en Palestine, ainsi que dans nos villes et grandes cités.
Dix ans plus tard, devant la gravité de la situation actuelle, nous ne préconisons pas seulement de limiter le recours à la violence militaire, nous soutenons aussi que toute intervention armée devrait être précédée et suivie d’ un éventail bien plus large de stratégies s’ attaquant à la fois aux causes et aux effets de la violence.
Les femmes veulent la paix parce qu’ elles donnent la vie. Nous éprouvons le besoin naturel de protéger, de soigner, de restaurer. Nous nous sommes entraînées à écouter, sachant que la capacité de consacrer toute notre attention à quelqu’ un est le moyen le plus rapide et le plus efficace de résoudre un conflit.
La plupart d’ entre nous affirmons vouloir la paix, mais nous ne consacrons pas nos compétences et notre imagination à relever le défi. Construire la paix figure très bas sur la liste des priorités, en comparaison de la guerre, notamment en termes de dépenses. Nous n’ avons pas de budget ni de ministère de la paix, alors que nous disposons des deux pour la guerre, même si nous l’ appelons la Défense.
Il est parfaitement possible de développer des stratégies pour faire disparaître le terrorisme. Cela nécessite une intention et un budget, mais aussi du courage, de la détermination et de la compassion à tous les niveaux, de haut en bas, et de bas en haut. Et c’est de cela que les humains sont capables.
Les femmes veulent la paix parce qu’elles donnent la vie. Nous éprouvons le besoin naturel de protéger, de soigner, de restaurer. Nous nous sommes entraînées à écouter, sachant que la capacité de consacrer toute notre attention à quelqu’un est le moyen le plus rapide et le plus efficace de résoudre un conflit.