La voie de la simplicité
Michael Lewin nous propose avec conviction de simplifier et désencombrer notre vie en nous distançant de la culture ambiante, qui nous pousse à en faire toujours plus. Une vie plus riche et satisfaisante nous attend dès que nous lâchons d’inutiles préoccupations et cessons de nous imposer d’innombrables tâches. Il suffit de faire ce choix pour que s’ouvre un chemin vers la vérité de notre existence.
J’habite une cabane dans une forêt profonde;
Le lierre vert pousse chaque année un peu plus.
Je n’ai pas de nouvelles des affaires des hommes,
Seul résonne parfois le chant d’un bûcheron.
Le soleil brille et je rapièce ma robe;
Je lis des poèmes bouddhistes à la lumière de la lune.
Je n’ai rien à raconter, mes amis.
Si vous voulez trouver le sens, arrêtez de courir après tant de choses.
Ryokan (1758-1831)
Avant de commencer à lire cet article, que faisiez-vous? Qu’est-ce qui occupait votre esprit? Étiez-vous concentré sur une tâche particulière, entièrement focalisé, donnant le meilleur de vous-même? Ou étiez-vous mentalement ailleurs, distrait par un flot de pensées morcelées, à mille lieues de la pleine conscience du moment présent?
Si vous faites partie comme moi de la deuxième catégorie, vous entreprenez probablement trop de choses et éparpillez votre énergie.
Notre besoin de faire et de réussir provoque en nous de l’anxiété. Cette préoccupation est essentiellement due à un environnement économique férocement compétitif, où la culture de marché mondiale s’emploie sans relâche à maximiser à tout prix la production, la performance et la consommation matérielles.
Engagés dans de multiples activités, nous nous perdons en elles, et négligeons totalement d’embrasser plus largement la vie. Nous ne nous posons pas les questions qui pourraient nous conduire à une compréhension et un éveil plus profonds, à une véritable libération.
Le chemin peut commencer à l’instant même
La vie devient difficile quand nous tentons de répondre à de trop nombreuses exigences que souvent nous nous imposons à nous-mêmes. Surchargés de tâches multiples, nous nous sentons coupables lorsque nous n’obtenons pas les résultats escomptés. Mener une vie meilleure, plus simple et plus saine, c’est se dégager de toute préoccupation inutile. C’est se délester de ce qui n’est pas essentiel à notre être véritable – et dont nous sommes conscients, tout au fond de nous.
Cette autre vie, spirituellement plus riche et porteuse de satisfactions plus profondes, est à notre portée: il suffit de la choisir. Alors, allons-nous continuer à nous campronner à nos valeurs matérialistes, à nous laisser stresser par une situation insoutenable pour nous et, à long terme, pour la planète? Ou suivrons-nous l’exemple de Ryokan et tenterons-nous de simplifier notre existence et de ramener nos engagements à des proportions raisonnables?
Le chemin peut commencer ici même
Un jour, un de mes amis, qui se disait surmené et stressé, était en retard pour se rendre à une réunion importante. Il partit précipitamment en voiture mais se heurta bientôt à de gros embouteillages tout au long du trajet, essayant en vain de prendre des raccourcis. Alors qu’il avançait au ralenti en s’inquiétant de plus en plus, il prit soudain, sans raison apparente, la décision d’être en retard.
J’aime ça. Il avait recadré sa réaction d’anxiété et de déni, et accepté la réalité d’une situation qu’il ne pouvait changer. Ce fut pour lui le point de départ d’une nouvelle façon de penser et d’être au monde. Sa vie était plus surchargée que jamais de préoccupations multiples, mais il savait désormais qu’il devait diminuer ses engagements pour aller vers davantage de paix, de satisfaction et de confort. Peu après, il commença à participer à des retraites et à pratiquer les enseignements du bouddhisme (dharma).
Pour alléger le fardeau imposé par la course aux performances et le besoin de se surpasser, il faut commencer par faire un premier pas de côté, comme mon ami. Il s’agit de simplifier tout ce que nous faisons. Cette décision devient alors notre point de départ, notre entrée dans une nouvelle vie. Au lieu de nous adapter aux rythmes fous et aux objectifs de résultats d’une culture économique féroce, nous devons humaniser cette culture pour qu’elle réponde à nos besoins et à nos désirs réels.
Nos vies sont précieuses, notre temps est précieux – plus que les transactions et les indices boursiers.
Le chemin peut être ma vie, ma vie peut être le chemin
Nous pouvons faire de longs voyages et nous lancer dans une foule de choses, mais notre bonheur le plus profond ne naît pas de l’accumulation de nouvelles expériences. Il naît de l’abandon de ce qui n’est pas nécessaire, et de la certitude d’être en permanence chez soi.
Sharon Salzbourg
Être «chez soi», s’habiter intérieurement, tel est le but à poursuivre. Vivre dans un espace qui nous permet de demeurer consciemment dans le non-attachement. Un espace où règnent la satisfaction et le bonheur profond. Un espace qui nous permet de guérir et de nous ressourcer.
Il semble qu’aujourd’hui tout soit marqué par l’urgence, le «maintenant», le «tout de suite», le «sur-le-champ». Si nous ne remettons pas en question cet état d’esprit, nous continuerons à reproduire les mêmes vieux schémas. Il est possible de vivre sans être harcelé par la pensée de devoir constamment faire, faire, faire, et que se reposer est signe de paresse, que c’est improductif. Au contraire, le repos est souvent particulièrement fécond.
Dans la nature, les pommiers sont au repos pendant les mois d’hiver, mais en chaque arbre, jusqu’au bout de ses racines les plus profondes, vit la promesse de ce qui viendra: les fruits de la période productive. Sans ce repos, il n’y aurait pas de récolte, c’est lui qui produit les pommes, en suivant le cycle naturel des saisons.
Le repos, l’indispensable élément de la croissance
Plus nous dégageons notre mental de ses pensées agitées et névrotiques, plus nous nous ouvrons à l’écoute. Une écoute si profonde, si paisible, qu’ensuite nous ne serons peut-être plus jamais les mêmes. Dans le bouddhisme, on l’appelle yoniso manasikara, la sage attention.
Lâcher prise, abandonner certaines choses, crée de l’espace pour en laisser entrer d’autres. Ryokan en était profondément conscient. C’est pour cela qu’il a consacré sa vie à la recherche de la simplicité, afin d’atteindre la vérité de son existence. Comment pourrions-nous atteindre la vérité de notre existence dans un monde si plein de distractions matérialistes ?
La simplicité, c’est vivre dans la légèreté, ce qui implique non seulement de surveiller notre consommation, mais aussi de préparer l’avenir par des démarches respectueuses de l’environnement. Alors nous saurons que nous avons fait notre possible pour rendre ce monde meilleur.
Vivre en harmonie avec la nature, dans le respect de ses dons universels, est un impératif que nous ne pouvons plus nous permettre d’ignorer. Et même si nous n’avons pas le pouvoir d’influencer la politique écologique mondiale, assurons-nous au moins de faire tout ce qui est en notre pouvoir.
Plus nous allons vers la simplicité, plus nous accédons à une connaissance qui transcende un rationalisme superficiel. La simplicité nous apporte une vision claire et perspicace, et nous réalisons alors qu’un «moins» nous apporte souvent un «plus».
Bon voyage dans la simplicité!
Le mystère ne s’éclaircit pas en répétant la question,
Pas plus qu’il ne s’achète en allant dans des lieux extraordinaires.
Tant que tu n’auras pas gardé tes yeux
Et ton désir immobiles pendant cinquante ans,
Tu ne pourras commencer à sortir de la confusion.
Rumi
Photo Tomo Nogi