La psychologie du yoga, vikalpa
Le yoga est la science de tous les corps, c’est-à-dire le corps physique, les corps subtils et l’âme. En d’autres termes, il couvre tout le domaine de la psychologie. Il nous permet d’explorer l’origine de la conscience et la cause des changements qui se produisent dans son champ. Dans ce deuxième article, Kamlesh Patel étudie la troisième perturbation mentale décrite par Patanjali, vikalpa, l’imagination.
VRITTIS
Poursuivons l’étude des vrittis. En résumé, les cinq vrittis sont les cinq types de pensée, les cinq schémas énergétiques de base, ou tendances, que nous créons dans notre conscience (chit). «Tourbillon» est la traduction littérale de «vritti»; les vrittis sont donc les tourbillons, les vagues et les ondulations qui se forment dans notre conscience. Ces vrittis déterminent la façon dont nous percevons le monde qui nous entoure et interagissons avec lui.
L’état originel du champ de la conscience est la tranquillité, et l’âme est heureuse quand nous retrouvons cet état d’équilibre. Mais l’interaction des sens, des pensées, des sentiments et des tendances nous entraîne dans le monde de l’expérience et de l’activité extérieures, créant divers schémas énergétiques dans le champ de la conscience. L’âme est également heureuse de ce mouvement, à condition que la pureté et la légèreté y règnent, et qu’il y ait une constante fluidité entre la tranquillité sous-jacente et les activités extérieures. Le yoga consiste donc à faire ces deux choses:
– Tourner notre attention vers le calme intérieur
– Affiner l’orientation et le choix des activités extérieures, afin que nos pensées et nos actes favorisent l’évolution, le bonheur et l’équilibre.
Nous ne pouvons pas rester constamment dans la tranquillité totale, sinon nous serions morts, et le yoga a aussi pour but l’efficacité de l’action. Alors, comment concilier le calme et l’activité? J’ai traité ce sujet dans un article précédent, «Le paradoxe de l’immobilité».
La combinaison de la tranquillité et de l’activité apporte la paix et le bonheur, qui sont les qualités de l’âme. Quand les vagues des vrittis s’apaisent et que nous sommes calmes, comme pendant la méditation, nous voyons notre vraie nature, et nous pouvons ensuite l’extérioriser dans toutes nos activités.
Patanjali décrit les vrittis comme étant soit colorées (klishta) soit incolores (aklishta); en d’autres termes, elles sont impures ou pures. Elles conduisent soit à des turbulences, soit à une évolution centrée et au calme. Le mental peut être source de servitude ou source de liberté, selon la façon dont nous le cultivons et le formons. Le yoga ne s’intéresse qu’à cette seule chose: comment utilisons-nous le mental? «Yoga» signifie «maîtrise du mental, cessation de la turbulence dans le mental».
Quand les vagues des vrittis s’apaisent et que nous sommes calmes, comme pendant la méditation, nous voyons notre vraie nature, et nous pouvons ensuite l’extérioriser dans toutes nos activités.
Patanjali décrit cinq vrittis:
1.6 Pramana viparyaya vikalpa nidra smritayayah
Les cinq sortes de schémas de pensée sont:
– la connaissance juste (pramana)
– la connaissance erronée (viparyaya)
– les fantasmes ou l’imagination (vikalpa)
– le sommeil profond (nidra)
– la mémoire (smriti)
IMAGINATION
Etudions maintenant la troisième vritti, vikalpa, l’imagination ou le fantasme. Qu’est-ce que l’imagination? C’est une faculté mentale très importante qui nous permet de former et créer de nouvelles idées, des images et des concepts qui ne sont pas toujours vérifiables par pramana.
Patanjali écrit:
1.9 Shabda jnana anupati anupati vastu shunyah shunyah vikalpah
Le fantasme ou l’imagination est un schéma de pensée qui peut s’exprimer verbalement et contient une connaissance, mais ne correspond pas à une réalité ou un objet existant.
Le bavardage se compose de toutes sortes de croyances illusoires et de constructions mentales. Notre imaginaire et nos attentes anticipent la réalité.
On n’utilise cependant pas le terme vikalpa pour tous les types d’imagination. Il y a quatre mots sanskrits qui peuvent être traduits librement par imagination: vikalpa, kalpana, pratibha et bhavana. Vikalpa est en quelque sorte la forme la plus basse de l’imagination. Il représente l’imaginaire apparemment aléatoire qui surgit continuellement dans le mental, comme un bruit de fond. Les vikalpas sont des histoires, des pensées et des images qui surviennent dans le mental: par exemple, la rêverie qu’on poursuit pendant un cours à l’école, ou l’ombre qu’on voit dans le noir et qu’on prend pour un fantôme. La plupart de ces bavardages du mental appartiennent à la catégorie des vikalpas: «Que se passerait-t-il si je…?» «Et si elle ne m’aimait pas ?», etc. Ce bavardage se compose de toutes sortes de croyances illusoires et de constructions mentales. Notre imaginaire et nos attentes anticipent la réalité.
Voici une belle histoire au sujet de vikalpa. Un jeune homme décida un soir de traverser une rivière pour aller voir sa bien-aimée. Une tempête se leva, la rivière devint dangereuse, mais il était déterminé à traverser. Il chercha un bateau et finit par apercevoir une bûche flottant à proximité. Il s’y agrippa et se laissa porter de l’autre côté de la rivière. En arrivant chez sa bien-aimée, il vit que toutes les lumières étaient éteintes, mais qu’une corde pendait de son balcon. Il l’escalada et parvint jusqu’à elle. Elle fut ravie de le voir, mais très surprise: «Comment as-tu pu venir par une nuit si terrible?» Il commença par la remercier: «C’est grâce à la corde que tu as accrochée pour moi à ton balcon que j’ai pu grimper. – Mais je n’ai pas mis de corde! » En allant regarder sur le balcon, ils eurent le choc de découvrir qu’un serpent y pendait jusqu’au sol.
Le lendemain, la tempête étant passée, il rentra chez lui. Parvenu à la rivière, il s’aperçut que c’était à un cadavre humain qu’il s’était agrippé pour traverser, et non à une bûche. L’amour l’avait aveuglé, lui cachant la réalité de ce qu’il faisait, et donné le courage de rejoindre sa bien-aimée quoi qu’il advienne.
L’amour peut déformer notre perception de la réalité. Mais qu’arrive-t-il à ceux qui cessent d’aimer à cause d’une série de faits? Perçoivent-ils encore l’autre de la même manière? Non. Nous sommes conditionnés par nos attentes, et lorsque l’illusion se dissipe, tout peut changer.
L’imagination est une des qualités propres à l’être humain, elle ouvre à de nouvelles possibilités, et à une vision de l’avenir. Dans sa forme la plus élevée, elle est visionnaire et inspirante.
Les trois autres formes d’imagination ont un but plus élevé et plus noble. Kalpana est une création mentale intentionnelle. Le sankalpa où l’on prie pour que tous connaissent la paix est un exemple de kalpana. Nous créons quelque chose par le pouvoir de la pensée, quelque chose qui n’existe pas encore dans la dimension physique. Kalpana nous aide à aspirer à n’importe quel objectif ou vision, et nous incite à travailler pour atteindre ce but. Pratibha est l’intuition visionnaire spontanée qui vient de l’expansion de la conscience dans le champ de la supraconscience, et bhavana est la capacité d’appeler quelque chose à l’existence à partir de la contemplation yogique et de visions.
En fait, l’imagination est une des qualités propres à l’être humain, elle ouvre à de nouvelles possibilités, et à une vision de l’avenir. Grâce à elle, nous pouvons être créatifs et concevoir d’autres perspectives, car le mental suit l’imagination. Cette capacité projective de l’esprit humain a beaucoup de pouvoir, elle conduit à la transformation et à l’évolution. Elle est à l’origine de l’aspiration et de la vision, qui sont parmi les aspects les plus importants de la conscience humaine. Dans sa forme la plus élevée, elle est visionnaire et inspirante.
Cette qualité visionnaire de l’imagination a été décrite par les philosophes de toutes les cultures depuis Platon, et se trouve condensée dans la déclaration d’Einstein: «L’imagination est plus importante que la connaissance. Car la connaissance est limitée, alors que l’imagination englobe le monde entier, stimule le progrès et donne naissance à l’évolution.» Mais il ne s’agit là de loin pas du bruit imaginaire ordinaire dans notre champ de conscience appelé vikalpa.
Ce sont pourtant les mêmes fonctions humaines qui mènent à des visions magnifiques ou à des fantasmes illusoires. Qu’est-ce qui nous permet d’imaginer quelque chose qui n’existe pas encore? Les quatre fonctions mentales de chit, manas, buddhi et ahankar nous donnent la capacité de penser à de nouveaux concepts, de projeter nos expériences dans de nouvelles dimensions et d’utiliser notre volonté pour provoquer le changement. Mais ces quatre corps subtils ne peuvent pas créer quelque chose de nouveau à partir de rien sans l’atman. Le mot «atman» associe «man» (la pensée) et «ath» (le mouvement), il désigne l’âme, le corps causal. C’est cet aspect divin de notre être qui a la capacité de créer. C’est donc la combinaison des corps subtils et de l’âme qui nous donne nos facultés d’imagination et de créativité. Il y a beaucoup à dire sur l’âme, nous y reviendrons dans un autre article.
Le concept d’imagination soulève de nombreuses questions, dont celle-ci: pouvons-nous créer quelque chose de complètement nouveau, qui n’a jamais existé auparavant, ou est-ce que nous «captons» quelque chose qui existe déjà dans l’éther, qui est présent dans des dimensions supérieures mais ne peut encore être attesté par les sens? Je vous laisse réfléchir à ces questions sur l’imagination en général. Etudions maintenant le type d’imagination le plus bas, vikalpa. Pourquoi ces pensées imaginaires aléatoires nous viennent-elles à l’esprit, d’où émanent-elles?
C’est la combinaison des corps subtils et de l’âme qui nous donne nos facultés d’imagination et de créativité.
VIKALPA
Les vikalpas forment un arrière-plan de fantasmes dans notre champ de conscience, comme un bruit de fond permanent. Ils existent parce que des impuretés et des complexités se sont accumulées dans notre conscience. On les appelle samskaras ou impressions. Dans une tentative de purification de la conscience, le mental s’efforce de les expulser, et cela les fait se manifester en tant que pensées. Plus les impressions sont complexes, plus les vikalpas le sont. Ils peuvent jaillir de notre subconscient de la même façon que les rêves pendant le sommeil. Le grand psychothérapeute Carl Jung a développé une technique de méditation, appelée «l’imagination active», pour faire émerger le contenu du subconscient sous forme d’images, de récits ou d’entités séparées. Il a utilisé cette méthode pour faire le pont entre le conscient et l’inconscient, et a travaillé aussi bien avec les rêves qu’avec l’imaginaire et les fantasmes. Le but de Jung était d’harmoniser et d’intégrer les parties fragmentées et dissociées de l’esprit humain.
Carl Jung a développé une technique de méditation, appelée «l’imagination active», pour faire émerger le contenu du subconscient sous forme d’images, de récits ou d’entités séparées.
Jung pensait que «l’imagination active», qui amène les vikalpas à la conscience, provenait des désirs et des fantasmes de l’inconscient, dont le souhait ultime est de devenir conscient. Son expérience lui a montré qu’après avoir fait surface, ces fantasmes devenaient plus faibles et moins fréquents. Cette technique représente une des contributions spécifiques de Jung à la pratique de la psychothérapie. Elle permet non seulement la communication entre les aspects conscient et inconscient de la psyché individuelle, mais aussi entre l’inconscient personnel et l’inconscient collectif.
Tout ce qui brouille la clarté et la pureté des chakras dans la région du cœur peut conduire à une distorsion de la conscience – et donc à vikalpa– provenant soit du subconscient intérieur, soit de l’environnement. Vikalpa résulte en effet parfois de l’accumulation des pensées et des sentiments des autres dans un certain lieu. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de déchets que le mental tente de rejeter pour purifier le champ de la conscience.
Tel est aussi le but de la pratique Heartfulness du cleaning: enlever toutes les impressions des expériences passées accumulées dans notre système, de même que celles que nous créons dans le présent. Ce nettoyage est une méthode beaucoup plus directe que «l’imagination active», car il n’amène pas les pensées et les émotions à la conscience. Il élimine la cause profonde des pensées et des émotions dans le subconscient, en supprimant les impressions sous-jacentes. Il n’est pas nécessaire d’analyser, de comprendre ou d’expérimenter les effets de ces impressions. Elles sont simplement enlevées, comme la saleté du corps quand on prend un bain. Avec le cleaning, le bruit de fond de vikalpa diminue progressivement, jusqu’à ce que le champ de la conscience soit clair et pur. Sans cela, nous continuons à nous percevoir nous-mêmes, ainsi que le monde, à travers une conscience déformée, et demeurons à la merci de vikalpa.
Mais avant d’arriver à la pureté de la conscience, comment faire le meilleur usage possible des fantasmes fragmentaires, les vikalpas, qui surgissent dans nos pensées? Comme Jung l’a observé, ils nous montrent nos tendances et nos désirs subconscients. En les regardant simplement venir et repartir, sans les juger, nous prenons conscience de bien des aspects de notre psyché, et voyons comment affiner notre personnalité et nos tendances. Nous pouvons utiliser cette conscience pour travailler sur nous-mêmes et changer notre caractère. Cela fait partie de la pratique yogique du swadhyaya, ou travail sur soi, qui est l’un des cinq niyamas, le deuxième membre de l’Ashtanga yoga.
C’est facile à faire, on laisse le mental dériver, on le regarde, on voit ce qu’il pense, on en est simplement le témoin. «Le mental n’est pas l’âme ou l’esprit. Ce n’est que de la matière sous une forme plus fine, il nous appartient, et nous pouvons apprendre à le manipuler par les énergies nerveuses», nous dit Swami Vivekananda. C’est la première étape de pratyahara, le cinquième membre de l’Ashtanga yoga.
Imaginez un instant que nous ayons une conscience pure, et que nous soyons capables de projeter une vision pour l’humanité dans cette pureté, sans aucune distorsion.
Pensez aux situations suivantes:
– Vous faites votre méditation du matin, et votre mental est inondé de fantasmes de nature sensuelle. Que pouvez-vous faire? Dès que vous prenez conscience de cette distraction, cessez de méditer et nettoyez pendant cinq minutes le point B, un point satellite du chakra du cœur, afin de réguler et calmer cette tendance. Vous pourrez ensuite méditer sans être distrait par la sensualité.
– Vous êtes assis avec votre famille le soir après dîner, vous appréciez la compagnie de vos proches, mais bientôt votre imagination commence à divaguer et vous pensez à la façon de vous venger d’un collègue qui vous a reproché quelque chose que vous n’aviez pas fait, ce qui a provoqué sa promotion et votre mise sur la touche. Que pouvez-vous faire ? Dès que vous prenez conscience de la distraction, méditez cinq minutes sur le point A, un point satellite du chakra du cœur, afin de réguler et de calmer la tendance. Vous serez alors en mesure de trouver une solution positive au problème, d’accepter ce qui s’est passé et de laisser tomber le ressentiment.
Quand la conscience n’est pas pure, notre perception reste teintée, et la faculté d’imagination est facilement détournée vers les fantasmes complexes et improductifs de vikalpa. Imaginez un instant que nous ayons une conscience pure, et que nous soyons capables de projeter une vision pour l’humanité dans cette pureté, sans aucune distorsion. Nous le ferions peut-être en priant pour que tout soit absorbé dans le souvenir de Dieu, ou que chacun soit en osmose avec la Source, ou que nous développions tous une pensée correcte et une juste compréhension. Comme l’âme brillerait alors et comme sa faculté de création et d’imagination serait actualisée! Nous confirmerions ainsi l’affirmation de Samuel Coleridge: «L’imagination est la condition nécessaire pour participer à la connaissance dans un univers sacramentel.»
Comment se régénérer: le cleaning Heartfulness
Asseyez-vous confortablement, fermez les yeux doucement et détendez-vous.
Portez votre attention sur votre dos et sur l’arrière de votre crâne.
Emettez la suggestion que toutes les complexités et impuretés accumulées pendant la journée s’en vont.
Imaginez qu’elles sortent par le dos, du haut du crâne jusqu’au coccyx.
Pensez qu’elles s’échappent sous forme de fumée ou de vapeur.
Poursuivez ce processus qui est à la fois actif et doux.
Lorsque vous le sentez bien installé, vous pouvez l’accélérer.
Poursuivez pendant 15 à 20 minutes.
Puis vous ajoutez l’élément suivant au processus: imaginez que la lumière descend de la Source et entre par l’avant de votre corps. Elle passe à travers tout votre corps, vous aide à enlever les complexités et impuretés et ressort par le dos.
Cette lumière remplit le vide laissé par ce qui a été retiré.
Terminez par une suggestion ferme: à présent, toutes les complexités et impuretés sont parties et je me sens vraiment plus simple et pur.