La psychologie du yoga, asmita, raga, dvesha, abinivesha
Kamlesh Patel poursuit l’étude de la psychologie yogique selon les Yogas Sutras de Patanjali. Après avoir défini avidya, l’ignorance, le premier des cinq kleshas, ces états négatifs qui affectent le bien-être mental, il décrit maintenant les quatre suivants. Il nous montre comment asmita, l’égocentrisme, raga, l’attachement, dvesha, l’aversion, et abinivesha, la peur de la mort, sont principalement engendrés par le désir et l’identification de l’ego à divers objets.
Rappelons encore une fois les fondements de la psychologie yogique: notre état mental intérieur originel est un état de pureté, de tranquillité et de samadhi, dépourvu de toute vibration ou perturbation. Cet état se trouve au centre de notre existence, il est présent dans chaque fibre de notre être, au cœur de chaque atome. Il est la référence du bien-être mental.
Dans le yoga, nous revenons à cette référence, l’état ultime de tranquillité sans vibration. C’était notre point de départ et ce sera un jour ou l’autre notre point d’arrivée. Si de notre vivant nous sommes capables de maîtriser cet état, nous allons au-delà de la conscience, vers quelque chose de plus profond et de plus beau.
Dans ses Yoga Sutras, Patanjali codifie les diverses modifications et vibrations mentales qui nous éloignent de notre centre, l’âme. Le processus de suppression de ces modifications est l’essence même du yoga.
Les kleshas
Les kleshas sont les cinq grands types d’afflictions mentales, ces états négatifs qui obscurcissent l’esprit et provoquent la souffrance. Ils mènent à la complexité – point de départ du déséquilibre mental. Ils nous empêchent d’être des êtres humains centrés, intégrés et entiers.
Comme nous l’avons découvert dans l’article précédent, Patanjali nous conseille de poursuivre un but intérieur, pour que ces afflictions ne nous égarent pas. En d’autres termes, notre croissance doit être orientée vers notre Centre le plus profond plutôt que vers la périphérie de notre existence. Telle est la clé ultime de la santé mentale et du bien-être.
Patanjali décrit ensuite la formation, dans notre champ d’énergie, des samskaras qui sont à l’origine des kleshas. Les impressions et les modifications dans le champ de la conscience créent des schémas énergétiques complexes; ceux-ci se rigidifient au fil du temps si les impressions se répètent, provoquant la formation de samskaras. Comme le mental est coloré par les expériences vécues dans le passé – ou par le manque d’expérience – ces schémas deviennent des tendances comportementales difficiles à effacer. Ce sont souvent des réactions émotionnelles qui conduisent à la formation de samskaras, il est donc particulièrement difficile de les supprimer. Même les samskaras qui se forment dans le mental conscient restent enfouis comme des graines dans le subconscient. Lorsque les circonstances le favorisent, ces graines font surface et s’expriment pour s’accomplir.
Le cleaning
C’est pour cela que le cleaning Heartfulness est si révolutionnaire et efficace – il élimine les samskaras à la racine. Il nettoie les complexités et les impuretés dans notre champ de conscience au niveau vibratoire, au lieu de tenter de changer les habitudes comportementales et les processus de pensée engrammés dans nos circuits neuronaux. Le cleaning ne s’appuie pas sur la pensée et l’analyse pour enlever les racines des afflictions, et ne requiert pas de revivre les expériences passées.
Le premier des kleshas est avidya, que nous avons exploré en détail dans le dernier article. Il est important de se rappeler qu’avidya est à la base des quatre autres afflictions – ashmita, raga, dvesha et abivinesha. Avidya est le manque de conscience – son opposé est vidya, qui est définie comme une toile vierge sur laquelle les prises de conscience et les perceptions peuvent librement se manifester en tant que témoins sans préjugés ni limitations. Fondamentalement, tout ce qui nous éloigne de notre centre est avidya, et tout ce qui nous en rapproche est vidya.
C’est l’ignorance résultant d’une conscience limitée qui est la cause du manque de conscience. Et deux choses sont largement responsables de la limitation de la conscience conduisant à l’affliction mentale: le désir et l’ego, qui sont à l’origine des couches de samskaras.
Le désir provient du fait que nous jugeons les choses selon ce que nous aimons ou n’aimons pas, selon ce que nous voulons ou ne voulons pas. Le désir naît aussi d’un sentiment de manque (abhav), ou de l’impression trop forte (prabhav) qu’un objet crée en nous. Le désir nous décentre de notre vraie nature (swabhav).
L’ego a de nombreuses fonctions très utiles, mais il s’identifie aussi aux «possessions» et s’y attache. Nous nous identifions à tant de choses, par exemple à notre corps, notre mental, notre travail, nos enfants, notre partenaire, notre culture, notre pays, notre religion, notre réputation, et même à des choses matérielles comme notre maison ou notre voiture.
L’ego a de nombreuses fonctions très utiles, mais il s’identifie aussi aux «possessions» et s’y attache.
C’est en prenant conscience des désirs et de l’ego, et du rôle qu’ils jouent dans la création des afflictions mentales, que nous commençons à comprendre ce qu’est le bien-être mental. En simplifiant, on pourrait dire qu’au cours de notre voyage spirituel, le yatra, nous apprenons à maîtriser les désirs dans la Région du cœur et l’ego dans la Région du mental. Mais le jeu des désirs peut également créer des complications quand on traverse la Région du mental, et l’ego manifester nombre de ses aspects épineux lorsque nous sommes dans la Région du cœur.
Passer d’avidya à vidya est un processus qui consiste à désinvestir tous ces «j’aime» et «je n’aime pas» liés au désir, de même que les diverses identifications de l’ego, pour revenir à la simplicité. Dans Heartfulness, ce passage de la complexité et de l’affliction mentales à la pureté et à la santé se fait en traversant les 13 chakras, de la périphérie vers le Centre de l’être.
Au cours de ce processus, nous recevons à profusion l’aide de notre guide spirituel et de sa transmission yogique, qui maintient notre attention focalisée sur le Centre. Mais nous devons quand même veiller à affiner notre comportement extérieur, en observant les habitudes et les tendances qui limitent notre personnalité et en travaillant consciemment à les éliminer. Les quatre derniers kleshas– qu’il faut considérer comme un tout – se manifestent sous la forme de tendances générées par le désir et l’ego. Le premier est asmita.
Asmita
Voici ce que Patanjali dit d’asmita:
2.6 Drig darsana saktyor ekatmata iva asmita
L’égocentrisme est l’identification du voyant à l’instrument de la vision.
Selon Patanjali, l’égocentrisme découle d’une identification au mauvais objet. Qu’est-ce que le voyant? C’est le Soi suprême, l’âme, l’aspect infini et éternel de notre être, notre Centre. Les problèmes mentaux apparaissent ainsi lorsque notre ego s’identifie aux instruments de la vision: la conscience, l’intellect, le mental qui pense et les organes des sens. Ce ne sont que des instruments, et lorsque nous nous identifions à eux, notre ego va dans la mauvaise direction. En conséquence, nous développons des «j’aime» et «je n’aime pas», des attirances et des aversions, et c’est ainsi que démarre tout le processus de formation des samskaras. On pourrait dire que si nous ne nous focalisons pas sur l’âme et son rôle central dans notre vie, nous sommes voués à l’affliction mentale et à une mauvaise santé. Si au contraire nous nous référons constamment à l’âme au cours de nos activités quotidiennes, nous restons en relation avec notre Centre – et telle est la recette d’une santé mentale holistique et intégrée.
Dans Heartfulness, cette capacité d’intériorisation est appelée le souvenir constant, ou encore maintien de l’état méditatif, ou méditation les yeux ouverts. Et comment créer cette condition intérieure? Par la méditation. La méditation est la mère du souvenir constant – d’où l’importance de méditer tous les matins.
Peut-on penser correctement quand le champ de la conscience est brouillé?
Soit dit en passant, il faut relever que cette identification aux instruments de la vision a eu pour effet de faire diverger la science et la spiritualité, du moins dès les années 1600. Vous souvenez-vous de la fameuse déclaration de René Descartes, «Ego cogito, ergo sum», «Je pense, donc je suis»? Alors qu’en réalité, le fait de penser est dû à mon existence. Et qu’est-ce qui donne au mental la capacité de penser?
Descartes soutenait que c’est parce qu’il pensait qu’il pouvait être sûr d’exister, les sens par lesquels il percevait son corps étant souvent peu fiables. Il en a conclu que la seule vraie connaissance venait de la pensée, et aussi que le pouvoir de penser venait de son essence. Descartes définissait la pensée comme «ce qui se passe en moi dont je suis immédiatement conscient, dans la mesure où j’en suis conscient». «Penser», pour lui, c’était chaque activité dont il était immédiatement conscient.
Considérant la perception comme peu fiable, Descartes l’a donc écartée, n’acceptant que la déduction comme méthode valable. Cette conception – encore en vigueur aujourd’hui – est devenue la base de la méthode scientifique qui ne reconnaît pas la perception directe comme moyen d’obtenir de véritables connaissances.
Pour quelles raisons Descartes pensait-il que les sens n’étaient pas fiables? Précisément du fait des kleshas, c’est-à-dire des colorations dans le champ de la conscience, dues à la formation des samskaras. En effet, peut-on penser correctement quand le champ de la conscience est brouillé? L’intellect peut-il parvenir à des déductions exactes quand la conscience est altérée par des impuretés?
Les vrais yogis purifient d’abord leur conscience par la pratique avant même d’essayer de comprendre le monde. De plus, ils s’identifient à l’âme.
Comme les scientifiques l’ont constaté au cours du XXe siècle, le résultat de toute expérience scientifique dépend de l’esprit de l’observateur. La pureté de la conscience est aussi importante dans le domaine de la science que dans celui de la spiritualité. Lorsque nous nous identifions à la pensée, notre être n’est identifié qu’à un instrument et cela devient une source d’égocentrisme. Tel est le triste état de l’humanité aujourd’hui.
À l’inverse, les vrais yogis purifient d’abord leur conscience par la pratique avant même d’essayer de comprendre le monde. De plus, ils s’identifient à l’âme. Celle-ci, le véritable témoin, peut ainsi utiliser les instruments de la conscience – l’intellect, la pensée et les sens – de même que la perception supraconsciente, pour parvenir à la meilleure réponse possible. Quand celle-ci concerne des variables mesurables, elle peut bien sûr être vérifiée par la méthode scientifique. Mais tout ne peut être mesuré par la science!
Pour en revenir à asmita, notre santé mentale et notre bien-être dépendent de ce à quoi nous nous identifions. L’âme est immuable, si bien qu’en s’identifiant à elle on ne peut être ni triste ni en colère. Mais quand on aime, quand on n’aime pas, quand on éprouve de l’attachement ou de l’aversion, cela entraîne des réactions positives ou négatives, et c’est ainsi qu’on ressent de la colère ou de la tristesse. On s’est identifié aux instruments de la vision, et non au voyant, et l’on fait l’expérience du plaisir et de la douleur. En outre, on s’identifie de façon encore plus décentrée aux membres de sa famille, à ses amis, ses collègues de bureau, et on s’engage avec eux dans un lien affectif. On s’éloigne ainsi de plus en plus de son Centre individuel!
Raga et dvesha
Les troisième et quatrième kleshas sont raga et dvesha, que Patanjali définit ainsi :
2.7 Sukha anushayi ragah
L’attachement est ce qui découle de l’identification à des expériences agréables.
2.8 Dukha anushayi dveshah
L’aversion est ce qui découle de l’identification à des expériences douloureuses.
Nous nous attachons à ce qui nous procure du plaisir, et nous ressentons de l’aversion pour ce qui nous apporte de la souffrance. Si nous observons nos pensées, nous constatons que cela se produit tout le temps, à propos des gens, de la nourriture, des vêtements, des lieux et des principes – au sujet de n’importe qui, n’importe quoi et de n’importe quel concept. «J’aime sa coiffure, je n’aime pas la façon dont il me parle, cette maison est magnifique, j’en voudrais bien une comme ça», etc. Le courant du mental s’écoule vers les choses que nous aimons, et s’éloigne de celles que nous n’aimons pas. L’effet des vibrations des «j’aime» et des «je n’aime pas» se fixe au point C du cœur, et forme finalement des samskaras.
Tout commence au point C, le point stratégique, ou point d’atterrissage des samskaras dans notre système. Ce sont nos réactions d’attirance et d’aversion qui créent la première vibration, le premier remous, dans le champ de la conscience. Cela touche le point C, à partir duquel l’énergie forme une impression.
Pour éviter que le point C soit affecté par ces réactions, il faut s’efforcer de maintenir un état méditatif tout au long de la journée, afin que le mental demeure dans l’état de sthit-pragya. Revenons à l’exemple du lotus dans l’eau boueuse. Si nous sommes comme lui, les impressions n’altéreront pas le champ de notre conscience. Maintenir cet état méditatif est l’une des choses les plus importantes que nous puissions faire pour notre santé mentale et spirituelle.
Abivinesha
Le cinquième klesha est abivinesha, que Patanjali définit ainsi:
2.9 Sravasa vahi vidushopi tatharoodho bhiniveshah
Même un sage peut s’accrocher à la vie, en suivant un penchant naturel.
L’instinct de survie se trouve chez tous les êtres vivants. C’est un impératif évolutif qui caractérise l’écologie de toutes les espèces. Mais d’où vient cet instinct? Selon le yoga, il se fonde sur des schémas samskariques du passé. Il résulte d’expériences, souvent faites dans des vies antérieures, stockées dans notre champ de conscience. S’accrocher à la vie est donc une réaction instinctive, liée à l’horreur de la mort ressentie dans de nombreuses vies. Nous avons bien connu la douleur de mourir. Ce klesha est lui aussi basé sur l’ignorance, qui nous porte à nous identifier au corps plutôt qu’à l’âme dont la nature est éternelle et infinie.
Comment résoudre ces afflictions pour trouver le bien-être mental?
Patanjali nous dit:
2.10 Te prati-prasava heyah sukshmah
Quand les samskaras sont enlevés, ces afflictions peuvent être dissipées, car on est remonté à leur origine.
2.11 Dhyana heyah tad vrittayah
Par la méditation, les manifestations extérieures des afflictions disparaissent.
2.12 Klesha mulah karma ashayo drishta adrishta janma vedaniyah
Qu’elles se réalisent dans le présent ou dans l’avenir, les expériences karmiques ont leurs racines dans ces cinq afflictions.
La clé est donc d’avoir une pratique quotidienne régulière qui supprime les samskaras. Si nous sommes capables d’éliminer la cause première des afflictions, nous pouvons espérer réaliser notre potentiel de bien-être mental, d’équilibre et de pureté. Sinon, nous restons coincés vie après vie dans des complexités mentales, des schémas et des penchants. Il est simple de pratiquer chaque jour le cleaning Heartfulness pour retirer les samskaras– tout aussi simple que de se doucher pour nettoyer son corps. Cela ne prend que 15 à 20 minutes chaque soir.
Cette pratique du cleaning est l’une des plus belles contributions qu’Heartfulness ait apportées au monde moderne, car elle est d’une efficacité pour éliminer la cause profonde des désirs. Mais il faut davantage. L’identification de l’ego ne peut être nettoyée, il doit être affiné par un autre processus. Nous reprendrons ce sujet.
Grace diving
Je souhaiterai connaitre la source de ce texte très intéressant (livre, enseignement…)
Merci.
Bonjour,
Cet article a été écrit par Kamlesh Patel spécialement pour le magazine; il fait partie de la série appelée « Psychologie Yogique » publiée depuis le début de l’année. (6 en tout jusque là, mais plus sont à venir) Vous les trouverez tous sur le site dans l’articlothèque (section être inspiré).
Ils feront l’objet d’une publication de livre dans un futur proche.
Vous aurez aussi la possibilité de télécharger les editions pdf sous peu.
N’hésitez pas à nous contacter pour d’autres renseignements.
Très belle journée, Hélène
Le texte dont parle Daagi est les yoga sutras de Patanjali.