Gratitude et bonté, une divine alchimie
Dans ce chapitre tiré de son livre, A Year of Living Kindly, Donna Cameron témoigne de l’importance de la gratitude dans nos vies. En évoquant des situations vécues, elle nous fait sentir l’impact immédiat de la bienveillance et de la reconnaissance – véritables antidotes aux émotions négatives. La gratitude engendre la bonté, toutes deux se renforcent mutuellement… et cette alchimie produit des résultats transformateurs!
Si vous ne disiez que «merci» comme seule prière au cours de votre vie, ce serait suffisant. Maître Eckart
Dans de nombreux pays et cultures, des journées particulières sont consacrées à la gratitude. Les Américains et les Canadiens, par exemple, célèbrent Thanksgiving et l’Action de grâce, mais à des dates différentes. Ces journées sont l’occasion d’une pause dans notre quotidien pour honorer – collectivement et individuellement – notre héritage national et rendre grâce pour tout ce qui nous est donné. Idéalement, nous devrions le faire chaque jour de notre vie, mais nous sommes souvent trop occupés pour penser à la gratitude.
Tout au long de cette année où j’ai cultivé la bienveillance, j’ai remarqué à maintes reprises que bonté et gratitude allaient de pair et se renforçaient mutuellement. Cela ne m’apparaît jamais plus clairement que lorsque je passe du temps dans la nature. Que je fasse de la randonnée, que je me détende sur ma terrasse avec vue sur la chaîne des Cascades ou que je flâne dans mon quartier, je sens souvent mon cœur s’ouvrir à la nature qui m’entoure – le vol et le chant des oiseaux, la grande diversité des arbres et leur transformation au cours des saisons, la montée des eaux de la rivière en hiver et son cours paresseux en été, le cerf qui vient dans notre cour grignoter les pommes tombées. Tout cela me donne envie de redonner à la Terre et à ma communauté les bienfaits reçus.
Cette année-là, j’ai participé à un séminaire d’un week-end à Pittsburgh. Nous étions fin mai, et le temps était magnifique. J’avais un après-midi de libre, j’ai marché jusqu’à un parc proche et me suis assise sur un banc avec un livre, partageant mon temps entre la lecture et la contemplation de ce qui m’entourait. Le parc semblait être un organisme vivant: des enfants jouaient sur la pelouse, des couples se promenaient main dans la main, et je voyais partout des écureuils, des chiens, des fleurs et une variété infinie d’arbres et d’oiseaux. J’ai alors pris conscience du privilège incroyable de pouvoir vivre tout cela – le parc, la conférence, le voyage, les gens que je rencontrais et les idées que je découvrais. La gratitude m’emplissait tout entière.
Au bout d’un moment, j’ai marché jusqu’à un snack pour manger quelque chose. De là où j’étais assise, je pouvais encore voir l’activité du parc et les rues animées de Pittsburgh. J’ai demandé à la serveuse d’emballer ma salade de fruits et le reste de mon sandwich, pensant qu’ils me feraient un bon dîner. En retournant à mon hôtel, je me sentais comblée par ma vie et immensément privilégiée. Sur mon chemin, j’ai remarqué un homme âgé affaissé dans un fauteuil roulant. À côté de lui se trouvaient une boîte de conserve contenant quelques pièces de monnaie et une petite pancarte en carton où étaient écrits ces mots: «S’il vous plaît, aidez-moi.»
Je me suis arrêtée et je l’ai salué. Puis j’ai ajouté: «J’ai un demi-sandwich à la dinde et de la salade de fruits. Ça vous dit?» Ses yeux se sont agrandis et il a répondu: «Oh oui!»
Je lui ai donné le doggy bag ainsi que quelques dollars. Nous avons parlé une minute ou deux; ses yeux brillaient. En marchant vers mon hôtel, je me suis sentie encore plus légère et heureuse qu’auparavant. Ma brève interaction avec cet homme m’avait fait du bien. Il avait sans aucun doute apprécié le sandwich et les quelques dollars que je lui avais donnés, mais j’ai senti que pour lui le plus important était le fait d’avoir été vu. Il avait l’habitude que les gens détournent le regard, passent rapidement en l’ignorant, ou déposent à la hâte quelques pièces dans sa boîte et s’enfuient sans un mot.
Lorsque je suis intérieurement en contact avec la gratitude, la bonté coule naturellement et sans effort.
La gratitude que j’avais ressentie dans le parc m’avait amenée à m’ouvrir à plus de bonté dans ma rencontre avec cet homme, en n’offrant pas seulement de la nourriture ou un peu d’argent, mais en lui faisant don d’une véritable attention. Pourtant, j’en étais certaine, cet après-midi-là c’est moi qui avais reçu le plus grand cadeau.
J’ai observé que lorsque je suis intérieurement en contact avec la gratitude, la bonté coule naturellement et sans effort. Si la bonté peine à émerger, je prends alors un moment pour être reconnaissante envers ce qui m’entoure, mes amis, mes proches, ou de petites choses qui me remplissent de joie. Je ressens ensuite de la gratitude et un élan de bienveillance monte en moi.
J’ai découvert que bonté et gratitude produisent ensemble, de multiples façons, des résultats presque alchimiques.
Ralentir
Tant la gratitude que la bienveillance nous incitent à ralentir, ce qui n’est pas toujours aisé dans nos vies planifiées et hyperactives. J’ai souvent l’impression de passer d’une échéance ou d’une obligation à une autre, talonnée par une longue liste de choses à faire. Pourtant ralentir est essentiel pour remarquer et apprécier le lever du soleil, les crocus qui sortent de terre, les oiseaux qui tournoient au-dessus de nous comme des patineurs ailés. Et ralentir est indispensable pour remarquer le sourire du caissier, la porte qui s’ouvre pour nous, ou les myriades d’occasions de manifester chaque jour notre propre bonté.
Un cœur ouvert
Quand je fais l’expérience de la gratitude, mon cœur s’ouvre. J’éprouve un sentiment d’abondance et de satisfaction. C’est tout ce dont j’ai besoin. C’est aussi une sensation de présence – ce qui s’est passé il y a cinq minutes ou ce qui arrivera dans cinq minutes n’a pas d’importance. Je suis dans l’instant présent.
De même, l’expérience de la bonté – qu’elle soit donnée, reçue ou même simplement observée – m’ouvre le cœur et me permet de me sentir pleinement présente ici et maintenant. L’espace d’un bref instant, le temps s’arrête et seule compte la bienveillance. Ça me rappelle une de mes citations préférées d’Henry James: «Trois choses sont importantes dans la vie d’un homme. La première est d’être bon; la deuxième est d’être bon; et la troisième est d’être bon.»
Quand je fais l’expérience de la gratitude, mon cœur s’ouvre. J’éprouve un sentiment d’abondance et de satisfaction. C’est tout ce dont j’ai besoin.
Le sentiment d’abondance accompagne aussi la bonté. Quand nous croyons que ce que nous sommes est suffisant, nous pensons facilement que nous avons tout ce qu’il nous faut. Ces deux convictions diminuent notre tendance à juger et augmentent notre bienveillance. Et ce sentiment d’abondance, qu’il soit lié à la gratitude ou à la bonté – très probablement aux deux – nous stimule à donner généreusement notre temps, nos paroles, nos actes et nos ressources.
Les émotions négatives
J’ai découvert qu’il est difficile d’être en colère ou d’avoir peur quand on ressent de la gratitude. Quand mon cœur est rempli de reconnaissance, je ne ressens pas le besoin de me mettre en colère si je suis bloquée dans la circulation, par exemple, ou qu’on me parle avec dureté. Je risque aussi moins d’avoir peur quand je dois affronter une situation nouvelle ou intimidante. Peut-être n’y a-t-il tout simplement pas de place pour ces émotions quand je suis pleine de gratitude, ou peut-être que la gratitude neutralise d’une certaine façon les effets des émotions négatives.
Mais que se passe-t-il en moi lorsque j’entends parler d’une attaque terroriste ou d’une fusillade de masse? Ces événements suscitent de la peur et de la colère, non seulement chez les personnes directement touchées, mais partout dans le monde. La gratitude qu’on peut éprouver parce que sa famille et ses amis ont été épargnés – ainsi que pour toute l’aide apportée aux victimes – peut-elle complètement dissiper la peur et la colère dans ces cas-là? Je ne le pense pas. Mais il peut y avoir des moments où la gratitude l’emporte au moins sur la peur et nous montre qu’il reste beaucoup de choses à apprécier, même lors d’attaques terroristes, de catastrophes naturelles ou personnelles. C’est peut-être la gratitude qui nous aide à nous remettre des pires choses qui nous arrivent.
Au service de la vie
Quand nous ressentons de la reconnaissance pour quelque chose, nous avons instinctivement envie de le protéger et de le défendre. Si nous sommes en admiration devant l’océan, par exemple, ou émerveillés par la beauté de la canopée, lorsque nous marchons dans les collines, notre désir naturel est de les protéger, de nous assurer qu’ils seront toujours là pour nous et les générations futures. Notre gratitude nous met au service de la vie – qu’est-ce qui pourrait être plus important?
La bonté elle aussi nous met au service de la vie. Quand on est activement bienveillant, on se sent physiquement connecté à son environnement et aux gens qui nous entourent. Cela nous révèle que la bienveillance ultime consiste à honorer la terre et ses habitants – humains ou autres. Une planète en bonne santé et des pratiques durables sont les plus beaux cadeaux que nous puissions nous donner les uns aux autres et offrir aux prochaines générations.
Comment pratiquer la gratitude
Si la gratitude nous vient régulièrement et sans effort, c’est évidemment merveilleux – mais ce n’est pas toujours le cas. Tout comme la bienveillance, le tennis ou le piano, elle se renforce par la pratique. Plus nous l’exerçons, plus nous en faisons l’expérience et plus nous devenons capables de l’exprimer. Si vous faites une recherche en ligne sur les «pratiques de gratitude», vous trouverez d’innombrables suggestions, allant de la méditation quotidienne, à la tenue d’un journal de gratitude et à la prière. Tous les matins avant de me lever, je passe quelques instants à penser aux choses pour lesquelles je suis reconnaissante. On peut aussi définir des moments dans la journée pour se souvenir d’être reconnaissant, afin de créer une habitude. Par exemple, chaque fois que vous vous arrêtez à un feu rouge, profitez de l’occasion pour vous rappeler quelque chose qui vous emplit de gratitude.
Voici un autre très bel exercice de gratitude que j’aime et pratique de temps en temps. Le Dr Rachel Naomi Remen, qui l’enseigne, l’a appris de l’anthropologue Angeles Arrien. Il est simple et prend très peu de temps.
À la fin de chaque journée, prenez quelques minutes pour répondre à ces questions:
- Qu’est-ce qui m’a étonné aujourd’hui?
- Qu’est-ce qui m’a ému ou touché aujourd’hui?
- Qu’est-ce qui m’a inspiré aujourd’hui?
Vos pouvez répondre en quelques mots. Il s’agit de vous souvenir de ce qui vous a fait vibrer.
La reconnaissance quotidienne est une merveilleuse façon de vivre en état de grâce permanent.
Comme le décrit le Dr Remen, «il se passe alors quelque chose de très intéressant. Souvent, les gens repensent à un événement qui les a touchés, huit ou neuf heures après qu’il se soit produit. Mais en faisant régulièrement cet exercice, ils parviennent peu à peu à réduire ce laps de temps, jusqu’à devenir capables de voir sur le champ ce qui les surprend, les touche et les inspire. Et cela change tout. Le monde n’a pas changé, mais ils ont commencé à le voir, et ils peuvent communiquer cette expérience. C’est une question d’attention.»
C’est vrai. Au début, c’est difficile. On a la mémoire vide. «Rien ne m’a surpris» ou «Rien ne m’a inspiré» aujourd’hui. Mais si on continue à chercher, on trouve quelque chose. «Ah oui, j’ai été touché quand j’ai vu ces enfants jouer dans le parc.» Et comme le dit le Dr Remen, avec de la pratique, on commence à remarquer des choses qui nous émeuvent, nous surprennent ou nous inspirent à l’instant même où elles se passent. Cela crée un état de gratitude durable, sans parler de l’état de présence à ce qui nous entoure.
L’un des plus grands cadeaux que nous puissions nous offrir, c’est de prendre le temps de réfléchir à tout ce qui nous inspire de la reconnaissance – à la fois ce qui saute aux yeux et toutes les petites choses cachées ou même insolites qui enrichissent la vie. La reconnaissance quotidienne pour la multitude de petites et grandes choses qui suscitent en nous ce sentiment est une merveilleuse façon de vivre en état de grâce permanent.
La bonté en action
Faites l’effort de dire plus souvent «merci» dans vos interactions quotidiennes, et lorsque vous le faites, pensez-le.
Si vous n’en avez pas déjà un, pensez à un exercice quotidien de gratitude qui vous convienne: un journal, des moments de réflexion, un pense-bête, peut-être l’exercice de Rachel Remen, puis pratiquez-le pendant trois semaines. Observez si vous prenez davantage conscience du nombre de choses dont vous pouvez être reconnaissant dans votre vie. Notez aussi si cela vous rend plus attentif à la bienveillance – la vôtre et celle des autres.
Si vous vous trouvez dans une situation propre à susciter de la colère ou de la peur, invoquez la gratitude pour contrer leurs effets.
Parlez de gratitude en famille. Faites-en éventuellement un jeu à table, ou lors d’un long trajet en voiture, en nommant toutes les choses qui suscitent en vous de la reconnaissance.