Les couleurs qui changent la vie
Ruth Lande Shuman est une conceptrice industrielle. Elle a créé à New York en 1996 Publicolor, une société à but non lucratif, proposant des programmes de soutien et de réinsertion scolaire à des élèves en difficulté, qui changent leur vie. Cet encadrement les aide non seulement à l’école, mais aussi dans leur carrière et dans leur vie. Ruth Lande Shuman répond aux questions de la rédaction.
Quelle est précisément la mission de Publicolor?
Sa mission est d’offrir un enseignement créatif à des étudiants de milieux à faible revenu et à haut risque, et de les préparer à être performants au travail.
Comment l’organisation est-elle née?
À la fin des années 80, j’étais très préoccupée par l’augmentation du taux d’abandon scolaire. Je pensais surtout aux terribles conséquences que cela aurait sur l’avenir de notre économie. Dans une autre vie, j’avais aidé à développer le Big Apple Circus, dont j’étais un membre fondateur. J’avais visité de nombreuses écoles qui appliquaient notre programme de formation artistique, et beaucoup d’entre elles se trouvaient dans le quartier d’East Harlem. Toutes avaient l’aspect et l’odeur d’une prison.
Je me disais qu’il n’y avait rien d’étonnant à ce que les enfants abandonnent l’école et que les parents ne viennent pas aux rencontres avec les professeurs. Moi-même je n’irais pas dans des environnements aussi hostiles. Et que les professeurs terminent en burnout n’avait pas de quoi surprendre. Ce fut le déclic.
À l’époque, je venais de terminer un master en design industriel à l’Ecole supérieure d’architecture Pratt, avec une spécialisation dans les effets psychologiques de la couleur. La couleur a un énorme impact sur nos attitudes et notre comportement. J’ai donc pensé à mettre un pinceau entre les mains des élèves récalcitrants – ceux qui risquaient le plus de décrocher. Je voulais leur enseigner la peinture en bâtiment, qui offre des débouchés, et leur donner de solides habitudes de travail. Ils auraient ainsi un sentiment de fierté et d’appartenance à leur école, et se mettraient à la fréquenter plus régulièrement. De plus, en passant du temps avec moi, ils verraient l’importance d’une formation qui pouvait les faire sortir de la pauvreté.
J’en ai donc parlé à la responsable du programme des arts du cirque à l’école. Elle dirigeait aussi un complexe éducatif à East Harlem, et elle m’a dit: «Venez. J’aimerais que vous peigniez toute mon école.» C’était un bâtiment de cinq étages. Le directeur m’a suggéré de rencontrer des responsables de l’entreprise Estée Lauder qui soutenait l’école. Ils ont adoré l’idée et se sont portés volontaires. Les espaces ont été préparés par les enfants pendant la semaine et les week-ends. Après avoir nettoyé tous les couloirs et les cages d’escalier, nous avons dessiné des milliers de lignes, parce que je proposais un design plutôt compliqué. En moins d’une journée, l’équipe d’Estée Lauder, mes amis, les enseignants et la directrice ont réuni 350 bénévoles et nous avons peint tous les espaces communs. C’était assez extraordinaire et le projet a été un énorme succès.
Je me disais qu’il n’y avait rien d’étonnant à ce que les enfants abandonnent l’école et que les parents ne viennent pas aux rencontres avec les professeurs. Moi-même je n’irais pas dans des environnements aussi hostiles. Et que les professeurs terminent en burnout n’avait pas de quoi surprendre. Ce fut le déclic.
Puis le chef du Département des écoles est passé par là, m’a prise à part et m’a dit: «C’est un catalyseur de changement. Je voudrais que vous veniez dans mes écoles. Je vais envoyer une demande pour un programme d’embellissement des établissements.» J’ai donc postulé auprès du ministère de l’Éducation et nous avons décroché le contrat. J’ai constitué une société à but non lucratif et c’est ainsi que Publicolor est né!
Par la suite, j’ai rencontré l’adjoint du chef qui m’a demandé par quelle école je voulais commencer, et j’ai choisi celle qui avait le taux de réussites le plus bas. Dans le contrat, j’avais bien précisé que je voulais leurs écoles les moins performantes.
C’est une belle histoire. La transformation de ces écoles a-t-elle suscité des réactions?
Un père a dit que c’était comme si le père Noël était passé par là en laissant ce cadeau. C’était magnifique. Il a parlé du père Noël et de ses elfes, car le lundi matin, en déposant son fils, il n’en croyait pas ses yeux. Toute l’école était transformée. Et les enfants adorent ça.
J’ai appris – et cela m’a blessée au début – que le changement peut être difficile pour certains: la première réaction n’est pas toujours enthousiaste. J’ai finalement compris qu’il fallait donner à tous deux semaines d’adaptation, et que presque tout le monde finit par aimer le changement. Il y en aura toujours quelques-uns qui n’apprécieront pas le jaune ou le bleu que j’ai choisi pour les portes. Mais si nous avons utilisé une couleur qui ne plaît pas aux enfants et/ou au directeur, eh bien nous la changeons.
Y a-t-il un étudiant à qui la transformation ou le programme de mentorat a été particulièrement bénéfique?
Pas facile de répondre, il y en a tellement! Mais je citerai Cécile, dont la mère était très malade lorsqu’elle a rejoint notre programme. Elle affirme que c’est grâce à nous qu’elle est restée à l’école et n’a pas abandonné ses études. Elle est entrée à l’université, mais après sa première année, elle nous a de nouveau annoncé sa décision d’abandonner, à cause de la maladie de sa mère. Nous sommes venus à sa rescousse et l’avons beaucoup aidée; nous lui avons expliqué pourquoi l’université était si importante pour elle, et que sa mère serait fière d’elle. Celle-ci est décédée après la deuxième année d’études de Cécile. Son conseiller l’a encouragée à continuer. Elle a suivi l’une des meilleures écoles culinaires du pays et a maintenant un emploi dans les services alimentaires de Google. Les samedis, elle travaille également pour nous en tant que membre du personnel du site.
Une dernière chose: un jour que nous faisions le même travail à Pittsburgh, un étudiant de Carnegie, qui faisait une recherche sur le bénévolat, a écrit un article consacré à Publicolor. Ce que lui et moi avons découvert, c’est à quel point les employés se sentent mieux dans leur entreprise après avoir participé à un programme de bénévolat. Ils sont très fiers que leur employeur se porte volontaire pour aider X, Y ou Z. De leur côté, les élèves apprécient beaucoup de travailler auprès de personnes venant du monde du travail, qui leur prodiguent informations et conseils. Ces échanges développent aussi l’esprit d’équipe – ce que les bénévoles et les élèves nous confirment très souvent.
J’ai appris – et cela m’a blessée au début – que le changement peut être difficile pour certains: la première réaction n’est pas toujours enthousiaste. J’ai finalement compris qu’il fallait donner à tous deux semaines d’adaptation, et que presque tout le monde finit par aimer le changement.
Merci beaucoup pour ces intéressantes et inspirantes informations!
Merci, tout le plaisir est pour moi.
PUBLICOLOR, UNE SUCCESS STORY
Chaque année, plus de 1000 bénévoles de diverses entreprises se joignent aux élèves le samedi pour repeindre des écoles et des bâtiments communautaires dégradés. Grâce à ses couleurs et un design soigné, Publicolor transforme complètement ces lieux publics et réinsuffle ainsi la dignité, le respect, l’inspiration et la sécurité dans des quartiers défavorisés de New York. En reconnaissance du travail communautaire de ses bénévoles, Publicolor a reçu en 2000 du président Clinton l’une des plus hautes distinctions des États-Unis, la President’s Service Award, et en 2014 la National Arts and Humanities Award, pour ses programmes créatifs destinés à la jeunesse.
Publicolor en quelques chiffres: 500 sites transformés, 894 000 étudiants et enseignants impliqués depuis 1996.
Pour en savoir plus: publicolor.org