A la rencontre d’Alexandre Jollien
Alexandre Jollien, la philosophie est entrée très tôt dans votre vie. Vous avez même parlé d’un coup de tonnerre… De quelle façon cette découverte a-t-elle changé votre réalité ?
Adolescent, je croyais que la culture était réservée à une élite, et surtout qu’elle n’entretenait aucun rapport avec le quotidien et les interrogations qui traversaient un esprit agité. Un jour, pour accompagner une amie, je suis entré dans une librairie. En l’attendant, j’ai feuilleté quelques pages qui évoquaient Platon. Socrate invite à vivre meilleur plutôt qu’à tenter par mille efforts de vivre mieux, d’améliorer son sort, l’extérieur. Dès lors, j’ai compris que plutôt que d’essayer de nier le handicap, il me fallait creuser dans cette intériorité, sculpter mon regard sur le monde. Un jour, un professeur m’administra comme une piqûre de rappel: «Toi, tu es philosophe!» J’ai recouru à la librairie pour acheter L’étonnement philosophique de Jeanne Hersch. Séchant les cours, j’ai dévoré ce texte. Médiocre à l’école, je comprenais que les outils, les concepts, les exercices spirituels et les intuitions des grands philosophes peuvent sauver une vie. Dès lors, Socrate, Platon, Aristote, Epictète, Nietzsche, Saint Augustin, Thomas d’Aquin, Spinoza et bien d’autres devenaient des compagnons de route avec lesquels je m’entretenais pour sauver ma peau, essayer de trouver un sens au quotidien et me rapprocher de la joie. C’est fou, quand on y pense, de pouvoir bénéficier de cet immense cadeau que représente la tradition philosophique. On ouvre un livre et on entend la voix de Nietzsche, on côtoie Spinoza, Pascal, on fabrique des outils intérieurs grâce à des Aristote, Schopenhauer et tant d’autres. Je me rappelle m’être initié à la philosophie un peu comme on apprend une langue étrangère. Se familiariser avec le vocabulaire, les concepts, apprendre à argumenter, à lire un texte. Le rapport à la philosophie était surtout un moyen de sauver sa peau, de glaner dans les textes des outils pour un progrès intérieur. Le «connais-toi toi-même» de Socrate sonnait particulièrement fort aux oreilles d’un adolescent qui passait à côté de son corps, de sa vie, à trop vouloir lorgner sur la norme. Au fond, c’était comme si des experts me lançaient plein de bouées de sauvetage. C’est bien plus tard que j’ai appris qu’il fallait plutôt apprendre à nager, à flotter carrément. À côté du centre spécialisé dans lequel j’ai grandi, il y avait un aumônier, le père Morand. Il habitait, comme il disait, une maison à géométrie variable qui accueillait les démunis, les défavorisés, les passants. Un jour, un peu pour le provoquer, je lui ai demandé s’il connaissait les philosophes et il m’a répondu qu’il avait étudié cette branche à l’université. Dès lors, chaque soir, j’allais trouver ce trésor pour l’interroger sur les 4 causes d’Aristote, sur la scolastique, les Évangiles. Ce fut mon premier maître, il me donna le goût de la rigueur, la passion des choses de l’esprit et surtout un vibrant désir de devenir meilleur, d’inscrire sa vie dans une dynamique, de progresser intérieurement. Au fond, la philosophie a servi de boussole à un paumé, lui a communiqué la passion de la sagesse, celle qui donne sens à l’existence, qui nourrit. Aujourd’hui encore, je vis le quotidien comme un terrain d’exercices qui offre mille occasions de progresser intérieurement.
Il faut se garder de sombrer dans un dualisme qui séparerait diamétralement les personnes handicapées des autres, des valides. Chaque être humain doit se coltiner le tragique de l’existence. Tout le monde va, tôt ou tard, claquer et c’est au sein de ce chaos qu’il s’agit de bâtir une liberté, de glaner une joie et d’aimer librement.
Vous avez ensuite raconté votre parcours dans le livre qui vous a fait connaître, «Eloge de la faiblesse». Qu’est-ce qui a changé dans votre relation à vous-même et aux autres, après la parution de ce premier ouvrage?
Au fond, la vie m’a donné trois vocations: celle de personne handicapée, celle d’écrivain et celle de père de famille. Ecrire, c’est témoigner d’un état d’esprit, tenter de transmettre des outils, partager une expérience de vie. L’écriture peut donner sens à la souffrance aussi. Quand on se dépêtre avec les difficultés, les traverser pour pouvoir tenter de se frayer un passage est un défi qui peut s’inscrire dans une solidarité. A nouveau, il s’agit d’inscrire sa vie dans une dynamique, quelle qu’elle soit. L’exposition médiatique offre heureusement la possibilité de revoir les préjugés que l’on peut coller sur une personne différente, handicapée. Mais aucun succès ne saurait guérir les blessures intérieures. Le plus beau cadeau de la vie d’un écrivain, je le crois, ce sont les ponts, les rencontres qui se donnent au jour le jour. Cadeau immense. Bien que le tragique de l’existence frappe toute vie d’une certaine solitude, pouvoir partager et recevoir tant de signes d’affection nourrit, réjouit le cœur.
A côté de la philosophie, vous avez élargi votre quête de sens à des textes spirituels tels que l’Ecclésiaste et les Sermons de Maître Eckart. Que vous ont-ils apporté et comment ont-ils changé votre vision de la vie?
La lecture de l’Ecclésiaste a été comme un coup de tonnerre aussi. C’est merveilleux de voir dans la tradition biblique un ouvrage qui guérit, qui panse les blessures avec une telle radicalité. On connaît tous le refrain célèbre «vanité des vanités, tout est vanité». Belle invitation à ne pas se cramponner à des béquilles pour danser avec le chaos de la vie sans craintes ni fixations. Au fond, l’Ecclésiaste nous guérit de l’idée même de guérison. Peut-être devrons-nous nous coltiner à vie des blessures, des plaies, des traumatismes et c’est au sein de ce chaos qu’il s’agit de trouver la joie, de se réjouir, comme dit le texte, Sous le soleil. Quant à Maître Eckhart, il invite à la déprise de soi. Dans ses Sermons, il propose une spiritualité du dépouillement. Alors qu’on a tendance à croire que le bonheur procède d’une accumulation, le dominicain nous invite à tenter une autre voie, celle de la déprise de soi. Au fond, il s’agit de zigouiller l’ego avec bienveillance, de voir que nous sommes comme un temple qu’il s’agit de vider pour se rendre disponible au présent, à la grâce, à l’intériorité, à Dieu. J’aime beaucoup quand cet auteur conseille de vivre avec les soucis et non pas dans les soucis. Au fait, la voie que dessine la pratique du zen apprend aussi cette cohabitation avec les tracas quotidiens, avec le chaos, les blessures. Plutôt que de vouloir terrasser un ennemi, un adversaire, nous sommes conviés à œuvrer à la paix. Maître Eckhart, l’Ecclésiaste, Nietzsche et bien d’autres sont comme autant de guides qui nous rapprochent millimètre par millimètre de la joie. Maître Eckhart invite aussi à se libérer de l’image d’un dieu vengeur, d’un juge implacable, d’une vache à lait qui distribuerait ses largesses aux justes, d’un bougon qui punirait les méchants. Le rapport à Dieu se trouve comme allégé, comme renouvelé. L’audace du prédicateur va même jusqu’à cette prière: «Dieu, libérez-moi de Dieu.» Au fond, il s’agit de bazarder toutes les conceptions que nous nourrissons à l’endroit du Très-Haut pour nous rendre pure ouverture à la Grâce. La pratique du zen, également, invite à se départir des concepts pour revenir à une conscience nue qui ne juge pas le réel, qui ne condamne rien, qui n’enferme pas la vie dans des concepts. L’Ecclésiaste, comme l’auteur des Sermons nous prennent comme par la main pour nous amener vers la confiance, l’abandon. Le premier pas vers la confiance, c’est d’accepter son manque de confiance, de faire avec nos doutes, nos tourments. Qui a dit que, pour entrer dans la paix, il fallait absolument terrasser chacun de nos doutes? La joie inconditionnelle, c’est la joie dans les conditions données, c’est la joie ici et maintenant avec nos blessures, nos traumatismes, nos imperfections.
Mettre la spiritualité au coeur du quotidien, oser une vie sans pourquoi, c’est-à-dire se libérer, autant que faire se peut, du qu’endira-t-on, de la fuite vers l’avenir et de la dictature du profit, voilà les défis que, quotidiennement, nous avons eu la chance de relever grâce à une immense solidarité.
Vous avez dit que le handicap restait néanmoins votre moteur le plus puissant, qu’il était même un maître, pouvez-vous nous en dire plus?
Ce que l’on peut dire du handicap, on peut le dire, je le crois, de façon plus vaste de la souffrance. Ce ne sont pas les épreuves, la peine, le mal-être qui font grandir, mais ce que l’on peut faire de tout cela. La tentation du dolorisme est très grande. Voir dans la souffrance un moyen de purification a quelque chose de maltraitant si c’est assené, imposé à quelqu’un qui se démène déjà dans la souffrance. À lire Nietzsche, on comprend que la grande santé, c’est précisément intégrer nos blessures, nos handicaps, toutes nos souffrances et que la maladie, le handicap ne sont pas forcément l’autre, l’opposé de la santé. Si le concept de bonne santé met pas mal de gens sur la touche, celui de grande santé me paraît beaucoup plus large, accessible. Quelles que soient les casseroles que l’on traîne, quels que soient les traumatismes et maladies qui nous tombent dessus, la grande santé consiste à progresser chaque jour. Là aussi, nous sommes invités à inscrire notre vie sous le signe du progrès. Le handicap n’est pas bon en soi, c’est même à certains égards un boulet, l’occasion de mille préjugés. Et il faut ramer pour découvrir la joie au cœur d’une épreuve aussi lourde. Cependant, la grande santé consiste à envisager l’obstacle, le handicap, la maladie comme des moyens non nécessaires mais imposés par la vie de progresser intérieurement. Pour ne pas couler, pour que la souffrance n’ait pas le dernier mot, tout un art de vivre est requis. Je ne suis pas sûr que seul, je m’en serais sorti. Assumer un handicap sans tomber dans l’aigreur nécessite une ascèse, un art de vivre et mille et un coups de main, soutiens au quotidien. Avoir la chance d’être inconditionnellement aimé par ma femme, mes enfants et mes proches concourt, assurément, vu que l’infirmité est là, à faire de cette difficulté l’occasion d’une ouverture à l’autre, d’un abandon et d’un terrain d’enseignement.
Il faut se garder de sombrer dans un dualisme qui séparerait diamétralement les personnes handicapées des autres, des valides. Chaque être humain doit se coltiner le tragique de l’existence. Tout le monde va, tôt ou tard, claquer et c’est au sein de ce chaos qu’il s’agit de bâtir une liberté, de glaner une joie et d’aimer librement.
Pour ne pas couler, pour que la souffrance n’ait pas le dernier mot, tout un art de vivre est requis. Je ne suis pas sûr que seul, je m’en serais sorti.
Vous venez de passer trois ans auprès d’un maître zen en Corée. Qu’est-ce qui vous a poussé à partir, que cherchiez-vous si loin ? Qu’avez-vous découvert auprès de ce maître?
Un ardent désir d’approfondir le bouddhisme et la familiarité avec les Évangiles nous a conduits à faire escale à l’école d’un maître en Corée du Sud. Là, à l’heure où l’individualisme se porte en sautoir, où le fanatisme fait rage, nous avons eu la chance de vivre une spiritualité du dialogue où les ponts se construisent entre les différentes traditions, les différentes religions. Mettre la spiritualité au cœur du quotidien, oser une vie sans pourquoi, c’est-à-dire se libérer, autant que faire se peut, du qu’en-dira-t-on, de la fuite vers l’avenir et de la dictature du profit, voilà les défis que, quotidiennement, nous avons eu la chance de relever grâce à une immense solidarité reçue sur place et depuis la Suisse. Se mettre à l’écoute du Christ, c’est apprendre l’amour au quotidien, voir que les croix, les blessures peuvent devenir l’occasion d’une grande fécondité pour qui renonce à tout maîtriser. Tenter de mettre nos pas dans ceux de Bouddha, c’est oser la non fixation et embrasser, avec les moyens du bord et les ressources du jour, l’idéal du Boddhisattva, c’est-à-dire de celle ou celui qui s’engage avec les moyens du bord, une fois de plus, à essayer de soulager tous les êtres. Ce qui soigne, je pense, dans la mesure du possible, c’est d’adopter un mode de vie. Expérimenter la foi, pratiquer les exercices spirituels, s’adonner à la méditation jour après jour. Un maître peut être ce guide, ce devancier qui montre au jour le jour que cette voie est possible.
Qu’est-ce qui s’est transformé en vous dans cette immersion en Corée?
D’abord, l’expérience d’être étranger. L’accueil que nous avons reçu sur place était magnifique. Je me souviens de passants qui m’ont raccompagné sur plus d’un kilomètre à la maison quand j’étais complètement paumé dans un quartier de Séoul. Depuis, je ne peux envisager un étranger sans ressentir au plus profond de mon cœur une fraternité. Ce que le cœur devinait, pressentait, nous l’avons expérimenté dans notre chair. A savoir, au-delà des différences culturelles, nous sommes tous unis au fond du fond. La période coréenne a été comme une pause, où les objectifs ont été comme mis en attente pour tenter une autre vie, une existence sans pourquoi, plus boulonnée aux impératifs du quotidien. Au fond, il nous a fallu sauter dans le vide et cette confiance a été mille fois consolidée par tout l’amour que nous avons récolté là-bas, ces sourires, ces mains tendues, ces cadeaux au quotidien.
Ce n’est pas un miracle qui s’est produit en Corée du Sud. Je n’ai pas déposé pour de bon les traumatismes, guéri une bonne fois pour toutes. C’est bien plus. L’expérience que la liberté, la paix peuvent se trouver au cœur du chaos. Voilà qui rappelle une phrase de Nietzsche qui m’accompagne depuis mon retour en Suisse. Dans le Zarathoustra, le philosophe allemand dit: «Il faut encore porter du chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse».
Qui a dit que, pour entrer dans la paix, il fallait absolument terrasser chacun de nos doutes? La joie inconditionnelle, c’est la joie dans les conditions données, c’est la joie ici et maintenant avec nos blessures, nos traumatismes, nos imperfections.
Aujourd’hui, de retour en Suisse, parvenez-vous à poursuivre votre pratique méditative et, si oui, que vous apporte-t-elle au quotidien?
Il est mille voies qui peuvent conduire à la paix et le danger consisterait à absolutiser un chemin et à rêver de baguette magique, de recettes miracles ou de mode d’emploi. Aujourd’hui, je reste fidèle à la pratique méditative, tentant aussi d’explorer ma tradition d’origine, si je puis dire, la philosophie. Nietzsche, Spinoza sont redevenus des compagnons de tous les jours qui m’aident bien souvent à baliser un chemin chaotique. La vie spirituelle est ample, vaste, elle ne saurait s’enfermer dans un chemin trop étroit. Ce qui m’aide au quotidien, ce sont aussi des amis dans le bien, tous ces êtres qui nourrissent un amour inconditionnel et nous aident à avancer, à progresser, à tenter cette aventure toujours d’actualité, devenir meilleur. Méditer, c’est avant tout laisser passer, oser la non fixation, avancer millimètre par millimètre vers la paix, l’amour et la joie. Pour faire route, il s’agit plutôt de laisser que d’acquérir, de perdre que de posséder. Chemin faisant, nous sommes conviés à laisser les préjugés, les mécanismes, les peurs, les angoisses, les attentes et les vains désirs pour tenter d’exister nûment et se donner à l’autre toujours davantage.
On peut méditer par devoir, pour compenser, dans l’attente d’un miracle, d’une guérison. Aujourd’hui, débarrassé quelque peu de cette illusion, je médite sans pourquoi pour descendre au fond du fond, là où il n’y a plus de handicap, plus de différences, plus de solitude. Mieux, là où tout ceci est assumé, donné, partagé.
La solitude, la dépendance, l’interdépendance, l’art d’être en relation avec les autres, sont des thèmes que vous évoquez souvent. Diriez-vous que vous avez apprivoisé l’art de vivre en paix avec vous-même et avec les autres?
La paix, la liberté, l’éveil pour le dire dans les mots du Bouddha sont l’œuvre d’une vie. On ne saurait s’arrêter en route, saisir un résultat, arrêter le chemin. Les philosophes antiques se percevaient comme des progressants. J’aime cette conception de la vie, cet appel à nous inscrire chaque jour sous le signe du progrès. Dans Malaise de la civilisation, Freud distingue trois causes à notre mal-être. D’abord, il y a le déclin du corps, la santé qui peut se perdre, les pépins qui nous tombent sur la figure, la mort qui nous attend au bout du chemin. A côté de ce destin, il y a aussi la souffrance causée par le fait que nous vivons dans un monde à la merci de mille et un dangers. Finalement, nous ne sommes pas les maîtres à bord, il y a plein d’éléments qui échappent à notre contrôle. On comprend dès lors qu’on ne saurait vivre dans un état de paix totale. Celle-ci est à construire, bâtir, découvrir au quotidien. Freud voit, dans la société elle-même, une troisième cause à notre souffrance, peut-être la plus intense, à savoir vivre sous le regard de l’autre, être obligé peu ou prou de jouer des rôles et de se trahir soi-même. La bonne nouvelle, à mes yeux, c’est que l’amour, la bienveillance, la compassion sont autant de remèdes qui pourraient empêcher de vivre le rapport à l’autre sous le signe de la volonté de puissance. Autrement dit, tenter une vie de paix, c’est poser des actes, se rebeller contre l’injustice et l’égoïsme qui peuvent miner un cœur. Faire la paix, c’est accueillir le chaos qui peut habiter le fond d’un cœur sans que nulle passion triste ne devienne tyrannique.
Au fond, il s’agit de zigouiller l’ego avec bienveillance, de voir que nous sommes comme un temple qu’il s’agit de vider pour se rendre disponible au présent, à la grâce, à l’intériorité, à Dieu.
Le 21 septembre est la Journée internationale de la paix. Dans un monde de plus en plus chaotique, comment peut-on être en paix avec soi et avec la réalité extérieure?
En s’engageant et peut-être déjà en pratiquant la solidarité, la compassion avec son voisin de palier. Dans Humain trop humain, Nietzsche dit, à ce propos, que la meilleure façon de commencer la journée est de se demander, ce jour-là, si on peut faire du bien à quelqu’un. La paix réclame aussi une rébellion, joyeuse, active, contre les tendances au repli, à l’égoïsme, au narcissisme. Plus de liens, moins de biens pourrait dégager une piste vers une société plus juste, plus équitable, plus respectueuse. De plus en plus de monde se retrouve sur la touche. Oser la solidarité, œuvrer concrètement à la paix, c’est purger de soi toute violence, toute agressivité, mais d’abord, il s’agit d’ouvrir les yeux sur les passions tristes que l’on peut trouver au fond de soi. Comme le disait Aristote, nous sommes des animaux sociaux. Vouloir construire son bonheur seul dans son coin procède d’une illusion, d’un rêve. Comprendre l’inter-dépendance, le lien, la fraternité qui nous réunissent tous, c’est peut-être commencer par passer du je au nous. D’ailleurs, en coréen, au lieu de dire «ma femme», «mon enfant», on dit «notre femme», «notre enfant». Belle invitation à faire péter les cloisons du moi et entrer dans une solidarité concrète, vécue.
Que vous inspire cette citation de Victor Hugo, «Vous voulez la paix : créez l’amour.»
La racine de bien des psychodrames et injustices qui agitent le monde réside dans l’égoïsme. Et Spinoza fait bien de rappeler que notre félicité comme notre malheur dépendent de ce à quoi nous sommes attachés par l’amour. Toutes les traditions spirituelles essaient de tordre le cou en douceur à cet ego, à cette tendance à se placer au centre du monde. Saint Augustin dit fort bien : « Aime et fais ce que voudras. » Si l’on est profondément installé dans l’amour, si l’on purge de son cœur quantité de désirs égocentrés, nos actes, notre comportement, viseront naturellement le bien commun. Et sur cette route, Svami Prajnanpad donne une piste extraordinaire lorsqu’il définit l’amour. Il dit en effet que l’amour consiste à aider l’autre à relâcher ses tensions. Magnifique invitation à ne plus considérer l’autre comme un concurrent, un adversaire, voire un ennemi, mais à tenter ensemble d’œuvrer à la joie, sans aucune volonté de puissance.