Le cœur, le corps et le jeûne. Entretien avec Thierry Casasnovas, 1ère partie
Quand Céline Frésard a commencé à regarder les vidéos de Thierry Casasnovas, elle fait un parallèle entre les fonctionnements du corps et ceux du cœur. Pour bien travailler, le corps a besoin d’être nettoyé – un nettoyage de la cellule, grâce à un processus de détoxication – et d’être bien nourri. Et le cœur, pour bien fonctionner, exige lui aussi un nettoyage et une nourriture appropriée – l’amour. Ce qu’elle a retenu de cette analogie, c’est que le corps et le cœur sont des portes vers des couches plus profondes de l’Être.
Bonjour Thierry, tout d’abord merci d’accueillir cette conversation avec autant d’enthousiasme. Pourrais-tu en quelques mots nous raconter ton parcours et les événements de ta vie qui t’ont amené à te passionner pour le vivant?
C’est une histoire familière à bon nombre de personnes. J’étais un enfant qui allait bien et je suis devenu un adulte qui allait mal – au point d’être mourant à 33 ans. Le pronostic était clair: plus que quelques jours à vivre, état d’affaiblissement total, avec une tuberculose, une hépatite et une pancréatite. Je pesais 35 kg, je n’assimilais plus rien et je vomissais tout ce que je mangeais.
Il y a eu alors un sursaut de vie en moi, j’ai soudain voulu savoir pourquoi j’en étais arrivé à ce stade, et surtout comment je pouvais en sortir, échapper à cette situation de passivité totale par rapport à ma santé. Pour moi, la notion de sens est essentielle, parce qu’un monde où règne l’arbitraire, qui nous rend donc impuissant, est pervers – c’est un monde dans lequel finalement la maladie nous tombe dessus de manière totalement aléatoire, sans qu’on y puisse quoi que ce soit. Cette vision d’un monde pervers ne coïncidait pas avec ma représentation. Je pense que le monde est fait de sens, de lois, de principes. Ma foi, elle aussi, m’incite à croire en un monde structuré de manière parfaite et fonctionnelle, qui ne peut donc rien abriter d’arbitraire ni de pervers.
On ne peut pas soigner le physique sans penser au spirituel et réciproquement.
Ce besoin de trouver du sens à ce qui m’arrivait a été déterminant car, pour reprendre le parallèle que tu évoquais entre le corps et le cœur, j’ai compris qu’ils sont indissociables, qu’on ne peut pas soigner le physique sans penser au spirituel et réciproquement.
Donc j’étais mourant. Au début j’ai ressenti ce sursaut de vie comme une fulgurance. Je pense que lorsqu’on est dans un état de très grande faiblesse, on a des moments d’hypersensibilité qui nous ouvrent à des dimensions plus subtiles de nous-même.
Et il y a eu un matin où mon cerveau a été littéralement retourné en l’espace d’un quart de seconde. Et voilà ce qui s’est fait jour en moi comme une évidence: «Si tu es dans cet état, c’est que tu es mourant. Et si tu es mourant, c’est que toutes tes façons de vivre t’ont conduit ici, c’est-à-dire à la mort. Choisis des pratiques qui te conduisent à la vie, et tu vivras! D’ailleurs, bien des années après, je suis tombé sur ce verset de la Bible: «Choisis la vie et tu vivras.»
Cela m’est apparu comme une évidence absolue: qu’est-ce qui me conduit à la mort et qu’est-ce qui me conduit à la vie? Je me suis mis à examiner ma vie physique, mes habitudes, ma façon de manger, de me mouvoir, mes relations avec les autres, ma spiritualité. À partir de là, j’ai mené une enquête qui m’a fait découvrir ce à quoi je ne m’attendais pas, la vie et le vivant.
Je suis devenu un adorateur de la vie, au sens propre, spirituel du terme. Et mon chemin s’est construit autour de cette question: «Qu’est-ce que la vie, quels sont ses besoins et qu’est-ce qu’on choisit pour être vivant?» Parce c’est ce dont chacun en réalité a envie: devenir vraiment vivant, avoir une plus grande vitalité et s’épanouir.
Comme j’étais un scientifique, un physicien, j’ai abordé ma recherche de manière rationnelle, en allant à la rencontre de ce qu’on appelle les lois et les principes de la vie, et j’ai trouvé des choses extrêmement simples, évidentes, qui tombent sous le sens et peuvent paraître simplistes au premier abord, mais qui changent tout.
Peux-tu nous en dire un peu plus sur ces lois qui régissent le vivant?
Oui, elles régissent tous les systèmes vivants. Il faut savoir qu’il y a une différence fondamentale entre le vivant et le non vivant – ce que la plupart du temps on ne réalise pas.
On vit dans un monde saturé de non vivant, où l’on passe plus de temps avec du non vivant qu’avec du vivant: on est assis dans notre voiture, devant notre ordinateur, notre téléphone portable à la main, nous sommes sans cesse en contact avec des machines… et on se met à considérer ce monde à travers les particularités du non vivant, alors que notre nature, la nature du vivant, a des caractéristiques totalement différentes.
Le principe de l’homéostasie dit que «tout système vivant revient spontanément à l’état d’équilibre».
Par exemple, un principe du vivant qui s’applique à tout, végétal, animal ou humain, est ce qu’on appelle l’homéostasie. À lui seul, ce principe change radicalement la donne. C’est un basculement, une proposition d’une puissance incroyable. Le principe de l’homéostasie dit que « tout système vivant revient spontanément à l’état d’équilibre». L’état d’équilibre, c’est l’état de meilleur fonctionnement de l’organisme.
En l’absence de perturbations…
Bien entendu, il faut les diminuer. Si ton corps fait deux pas en avant vers l’équilibre et que tu lui en fais faire quatre en arrière, la résultante sera deux pas en arrière. Donc si les perturbations sont acceptables, elles doivent être diminuées pour que la résultante soit l’équilibre. Cela dit, tout organisme vivant revient spontanément à l’état d’équilibre.
Pour certains, cette affirmation peut paraître scandaleuse, et parfois ils rétorquent: «Oui mais moi, j’ai un cancer». Dans notre société, c’est un pronostic relativement sévère, c’est la maladie par excellence. Et je comprends qu’ils me lancent: «Comment oses-tu me dire que mon corps reviendra à la pleine santé?» Alors, je leur réponds: «As-tu déjà envisagé que la tumeur qui se développe en toi puisse être un mécanisme que ton corps a mis en place pour t’éviter de mourir, et que si elle ne s’était pas développée, tu serais déjà mort? Peux-tu l’envisager? Peux-tu le voir comme un mécanisme adaptatif? C’est le dernier recours qu’a eu ton corps pour te protéger d’une toxicité interne qu’il ne maîtrisait plus.»
Là, d’un seul coup, bam! ça renverse le regard. Tu ne vas plus considérer ton corps comme quelque chose de défectueux, qu’il faut toujours réparer, auprès de spécialistes qui te donneront plein de choses à prendre pour réparer cette chose dysfonctionnelle – en accompagnant leur diagnostic d’une espèce de détestation du vivant, d’un mépris de la création…
Soudain, tu te dis: «Mais en fait j’ai quelque chose de fabuleux en moi, et je n’ai rien à comprendre, rien à analyser, j’ai juste à obéir… et obéir à quoi? À ce principe du vivant qui dit que plus on laissera le corps au repos, plus il pourra se réparer.» C’est ainsi que ça se passe. Cette notion de repos est vitale, parce que là aussi, on le rapporte aux machines. Une machine au repos, c’est une machine qu’on n’utilise pas. Or le repos, pour le vivant, c’est tout autre chose.
Je donne souvent l’exemple d’un muscle. Un muscle qu’on surutilise s’épuise; un muscle qu’on sous-utilise s’atrophie. On n’est pas dans le domaine des machines, le repos pour un être vivant n’est ni la surutilisation, ni la sous-utilisation, le vivant prospère quand on l’utilise à sa juste mesure. Ce n’est pas le laisser dans un coin au repos, dans une chaise longue à végéter, c’est vraiment l’utiliser de manière adéquate. Le repos existe sur le plan physique, sur le plan psychique et sur le plan spirituel.
Le vivant a besoin de paix sur le plan spirituel, de repos sur le plan corporel et de quiétude sur le plan mental pour prospérer. Et si ces conditions sont réunies, la vie explose en toi.
Qu’est-ce que c’est le repos, réellement? Là aussi, le trouver est une aventure de toute une vie. Dans les pratiques de méditation centrée sur le cœur, il me semble comprendre que cette paix est aussi ce qui est recherché. Or cette paix et ce repos sont les conditions sine qua non pour que la vie prospère en nous. C’est aussi simple que ça, ce sont des conditions absolument nécessaires. Ce n’est pas une opinion, c’est la réalité biologique, physiologique de notre corps et du vivant. Le vivant a besoin de paix sur le plan spirituel, de repos sur le plan corporel et de quiétude sur le plan mental pour prospérer.
Et si ces conditions sont réunies, la vie explose en toi, comme le feu se répand dans un bûcher si les bûches sont bien disposées. C’est toujours pareil, si tu as une petite flamme, cette petite flamme peut devenir un feu de joie, à condition d’être bien guidée. Pour allumer un feu, il faut le faire prospérer progressivement, grâce à de petites brindilles, en lui apportant de l’oxygène, sans lequel ton feu va s’éteindre. Donc il y a des principes, des règles, et pour notre vie c’est exactement la même chose; si tu respectes ces principes, elle prospère en toi.
Souvent, on me caricature dans mes propos, on dit «il a réponse à tout», «il explique tout», mais en réalité ce n’est pas moi, mais le corps, la vie elle-même qui ont une réponse à tout. Parce que la vie va spontanément vers la vie, c’est dans la nature même du vivant d’aller vers la vie, tout le temps, tout le temps.
Je retiens le mot progressivement qui me ramène au contexte du monde actuel. Comment favoriser un état d’équilibre dans ce monde frénétique? À quelle dose, à quel rythme? On ne peut pas tous aller vivre dans la montagne et boire de l’eau pure, non?
Dommage, parce que c’est ce que je souhaite à tout le monde! Je suis d’accord avec toi, il y a des étapes. En fait, je crois que l’important n’est pas la vitesse à laquelle on chemine, c’est la direction.
C’est vrai, une des dimensions essentielles de la santé reste la quiétude, la tranquillité. Mais il est inutile d’aborder ces questions de façon anxieuse en se disant «il faut que je renouvelle tout, sinon je vais mourir, etc.»
Cependant il y a des personnes dont la santé est dans un tel état de dégradation que je leur dirais: «Au stade où tu en es, il n’y a rien à garder. Il faut vraiment faire des changements radicaux, sinon la petite flamme de vie en toi sera bientôt réduite à l’état de braise, tu n’as pas trop de temps.» Pour ceux-là, il faudra des réformes radicales, c’est-à-dire aux racines, profondément. Mais pour la plupart des gens, on peut mettre les choses en place progressivement.
Juste un petit aparté pour faire comprendre ce que je veux dire. Il y a globalement deux modes de fonctionnement du vivant. L’un est dit catabolique, c’est le mode de réaction et d’adaptation à l’environnement, dans lequel le corps consomme les ressources et produit des déchets. L’autre est le mode de repos, dans lequel le corps se répare, va vers l’homéostasie, vers le meilleur de lui-même. Le corps élimine alors les déchets et tout se nettoie. L’important est de maintenir l’équilibre entre les deux.
Or, le problème vient de ce que le monde actuel est devenu hyper, hyper catabolique, on n’a plus un moment de repos. J’y pensais hier avec les téléphones portables, par exemple, on n’a plus un instant de solitude avec le droit de s’ennuyer. On a toujours quelque chose à lire, à écouter, à faire, à penser, un message à regarder, quelqu’un à rappeler. Sur le plan mental, on est dans l’hyper catabolisme permanent, l’hyper sollicitation de notre esprit.
Je pense que la méditation est un moyen idéal pour calmer cette espèce de vélo délirant qui tourne en permanence dans la tête et ramener le mental à l’essentiel.
Le corps lui aussi, est en permanence hyperactif: il subit des pressions énormes dans tous les domaines: au travail, dans notre vie de tous les jours, pour gagner de l’argent, éduquer les enfants, ou par la peur du lendemain, de l’insécurité, d’une catastrophe mondiale…
Alors pour moi, l’important est de se dire: «Ok, je comprends que cet hyper catabolisme est intenable à long terme, il est en train de littéralement étouffer la vie en moi, donc je décide de faire chaque jour un nouveau pas dans le sens du repos.»
Chacun le vivra différemment. Il y a celui qui l’abordera d’abord sur le plan psychique. Par la méditation, par exemple, je pense que c’est un moyen idéal pour calmer le mental, calmer cette espèce de vélo délirant qui tourne en permanence dans la tête et le ramener à l’essentiel. Au cœur en particulier, c’est juste parfait. Ainsi (je suis de culture chrétienne et je reprends des versets qui peuvent parler à tout le monde), il y en a un dans les Proverbes de la Bible qui dit: «Garde ton cœur plus que toute autre chose car de lui viennent les sources de la vie.» Donc en méditant sur le cœur, tu médites sur les sources de la vie. Ce n’est pas rien, c’est juste énorme. Tu te connectes à la source de la vie.
Il y a ceux qui choisiront de ralentir l’hyper catabolisme, par exemple en réfléchissant à leur alimentation: «Je vais faire en sorte que chaque jour mon alimentation m’apporte plus de principes nutritifs, qu’elle soit de meilleure qualité.» Et il y en d’autres qui le feront par rapport à leur rythme de vie, leur travail. Ils vont choisir de travailler un peu moins, de prendre plus de temps avec leur famille.
Chacun fera un pas en avant à sa façon. C’est individuel parce que, dans nos vies, pour dire les choses simplement, nous avons chacun nos «sources de mort». Pour l’un, cela vient de ce qu’il ne dort pas assez. Pour l’autre, c’est de se laisser ronger par la culpabilité ou les remords, pour des choses qui se sont passées des années auparavant. Pour un troisième, ce sera de manger n’importe quoi. Pour d’autres encore, ce sera de nourrir la colère ou de se surentraîner au niveau physique, car même le surentraînement physique conduit à l’épuisement.
La vie humaine est régie par des principes universels, valables pour tous, mais la façon dont nous les transposons dans notre existence nous appartient. Chacun doit aller à la recherche de ce qui le tire vers la mort et comprendre exactement comment y répondre et changer.
Il y a un mot que j’aime beaucoup. Il a une forte connotation religieuse, mais j’aimerais revenir à sa racine parce qu’il est très puissant, c’est le terme de repentance. Repentance veut dire «changer de pente, de direction». Si tu vas en direction de la mort, tu ne peux pas simplement te dire: «Ok, il faut que je ralentisse un peu». Non, il ne s’agit pas de faire des aménagements, il s’agit de changer de pente. Tu suivais la pente de la mort, tu choisis maintenant la pente de la vie. Vas-y à la vitesse que tu veux mais choisis la vie en toutes circonstances.
Dans les Proverbes de la Bible, un verset dit: «Garde ton cœur plus que toute autre chose car de lui viennent les sources de la vie.» Donc en méditant sur le cœur, tu médites sur les sources de la vie. Ce n’est pas rien, c’est juste énorme.
Et ce sont souvent les questions que je pose aux personnes que je rencontre: «Quoi que tu fasses, quelles que soient tes actions et interactions avec les autres, ou tes choix dans la vie de tous les jours, demande-toi à chaque instant si tu nourris la vie en toi et autour de toi – parce qu’en fait c’est la même chose (et c’est une bonne nouvelle): si tu nourris la vie en l’autre, tu la nourris en toi, si tu fais du bien à l’autre, tu te fais du bien à toi-même. Est-ce que ton action, à chaque seconde, nourrit la vie? Quand tu commences à mépriser quelqu’un dans ta tête, à le tourner en ridicule, est-ce que tu nourris la vie en toi et en lui? Chaque fois que tu culpabilises, est-ce que tu nourris la vie, en toi et en l’autre? Chaque fois que tu te couches à deux heures du matin, après avoir fumé cigarette sur cigarette, est-ce que tu nourris la vie en toi?»
Si tu veux vivre, il faut que dans une journée la résultante de ce qui nourrit la vie, par rapport à ce qui nourrit la mort, soit favorable à la vie, sinon tu mourras, tu iras dans le sens de la mort. C’est simple mais pas simpliste.
Alors oui, choisir la vie, mais si on est trop fatigué? Parce qu’il faut une énergie puissante pour aller dans une direction ascendante. Même penser autrement demande un minimum d’énergie.
Une énergie puissante, je ne sais pas. Si je prends mon cas par exemple, j’étais au bout du bout du bout du bout de l’épuisement physique. Je pense que l’énergie est importante, mais plus que de l’énergie, il faut une conviction, une révélation d’une certaine manière, ce que j’appelais un basculement dans la tête. Et si la tête a basculé, le corps suivra, même s’il y a très peu d’énergie; au début, tu vas y aller très doucement, mais avant tout il faut ce basculement. Ça fait des années que je répète toujours la même chose, d’ailleurs je préviens les gens que dans 20 ans, je serai toujours là, à redire ces mêmes choses – regardez le vivant, apprenez à le connaître, à le comprendre et à l’aimer pour que d’un seul coup il y ait ce basculement en vous: «Il ne me reste plus qu’une seule envie, nourrir la vie!»
Peut-être que nourrir la vie, au début, ce sera peu de chose à l’échelle du quotidien, parce qu’on a très peu d’énergie, il n’empêche qu’on sera parti dans la bonne direction.
Pour moi, c’est vraiment important, ce basculement. C’est la différence fondamentale entre l’adhésion à un discours, «ah oui, il parle bien, c’est un bon orateur», et la conviction, c’est-à-dire le fait que ce discours ait touché mon cœur. Tu vois, on n’arrête pas de parler du cœur finalement. On a été touché au cœur et cela a déclenché en nous ce «BAM!», cette explosion qui fait que plus jamais on ne verra le monde de la même façon. C’est ce que, en termes spirituels, on appelle une révélation.
Et à travers mon travail, à travers ce que je répète, j’aspire à ce que chacun connaisse cette révélation en lui – que chacun découvre la vie dans le domaine physique, mental et spirituel.
À suivre